L’État et la foi nationale. Le Bagage des preuves – Préface
Un exemplaire du volume d’accompagnement, rescapé du pilon, tomba par hasard entre les mains de mes amis cinéastes. Une réserve de scénarios ! Redécouvrant ce recueil de textes, documents, rapports, etc. passés à la trappe, je suivis le conseil de réanimer le revenant à travers une vie littéraire. Les temps sont aujourd’hui propices.
Le témoignage des traces laissées par les innombrables manières de faire vivre les productions de cet État centraliste atteste la résistance d’un matériau institutionnel capable d’affronter les assauts. Il s’est montré, par sa tradition propre, aussi compétitif que le système de la Couronne britannique dont la devanture médiévale est un trompe-l’œil.
Ne m’étant jamais attardé sur les rhéteurs du Mal français, je m’en tiens à la réalité des pratiques et leur portée historiale. Écritures officielles, critiques et projets de réformes abouties ou non, expertises, science des contrôles, etc., tout cela fait partie d’une transmission ininterrompue de la signification, traversant les tumultes. Nous voici devant le paysage administratif façonné par des générations de tâcherons que recouvrent d’abstraites formules telles que fonction publique, service de l’État. Jour après jour, le peuple français, que le jargon à la mode appelle les gens, sait d’instinct ce dont il s’agit.
Faire tenir debout un État, dans le cas de notre pays au relief géographique si varié et aux populations attachées à des coutumes originairement si disparates, exigea non seulement la main de fer d’un Centre, mais la croyance en cette forme d’Unité que nous appelons Nation.
La mémoire latine - du verbe nascor qui désigne la naissance - enseigne la foi en la vie, autant dire l’appartenance généalogique à une certaine forme étatique. Cela met en relief le thème familier : enfants de la Patrie … qu’ils soient, selon l’ancienne formule normande nés natifs d’un lieu, ou nés par adoption ! Et souvenons-nous de l’étayage catholique de cette Nation sous la Monarchie. Marquage indélébile de nos Républiques successives.
Ce volume d’accompagnement ressemble à une séquence de prises de vues cinématographique. Panorama d’un fourmillement de discours et de pratiques, d’un temps à l’autre : « du XVIIIe siècle à nos jours ». Nous visionnons l’Administration publique, vécue par la Nation française. Pêle-mêle à valeur bien concrète : de l’arrêté ministériel pompeux qui nomme le concierge du Ministère de l’Intérieur en 1865… à l’article de Léon Blum en 1917 exposant sa vision d’un chef de gouvernement, monarque temporaire. Exemples révélateurs du puzzle.
J’ai jugé superflu d’ajouter à cet écrit. Car, pourquoi surcharger ce Bagage de preuves ? Néanmoins je cède à la tentation, en évoquant un dossier (dont je n’ai plus la cote) engrangé par les Archives départementales de Rennes. Récit d’un transport d’orphelines bretonnes pour les marier à des soldats-laboureurs en Algérie après la conquête de 1830. Sur place se déroule une cérémonie dirigée par l’Administration militaire. Jeunes femmes et soldats alignés se font face, le commandement procède par appel des noms : à chacune un mari, à chacun une épouse. Ainsi s’accomplit le projet saint-simonien d’implantation démographique de la France sur l’autre rive…
Selon un conseil amical, je publie aussi l’ancienne Préface, destinée à un public d’étudiants. Il en sera de même pour le volume suivant.
Août 2022