Histoire de l’Administration de 1750 à nos jours
L’Histoire globale de l’Administration française
On a découvert le rôle primordial de l’Administration dans la vie sociale, économique, politique, parce que de nos jours l’État est de plus en plus puissant. La Science administrative, appelée à devenir une « science clé de la société moderne » (Lepawsky), s’attaque donc à des problèmes très divers, dont l’analyse suppose la collaboration de disciplines de plus en plus variées : Droit, Économie, Cybernétique, Psychologie, etc. L’Histoire ne saurait prétendre tant embrasser, incapable de transposer dans le passé des méthodologies si disparates ou d’alléguer des sources d’information encore mal explorées, voire totalement inexistantes ; consciente de ses limites, elle doit néanmoins dépasser la simple chronologie ou l’exposé juridique, aller plus loin, mais jusqu’où ?
Réfléchissons sur notre point de départ : l’Histoire administrative prend place parmi les disciplines modernes qui sont le support de la Science administrative. Une telle proposition prend son sens du fait que sur tous les plans notre Administration apparaît profondément enracinée dans le passé national. La voie de cette histoire globale est, d’ailleurs, tracée depuis longtemps. Sans doute, l’apport d’autres techniques d’analyse auxquelles fait appel la Science administrative (Psychologie sociale, applications de la Théorie des organisations) invite l’historien à élargir le champ de ses investigations, car ici tout se complète ou se rejoint. Mais, le XIXe siècle a jeté les bases de notre étude. D’illustres auteurs, dont on néglige de relever la profondeur de pensée dans les matières d’Administration, peuvent encore être lus : Saint-Simon et son élève Auguste Comte, Tocqueville, Le Play, Taine , les frères Leroy-Beaulieu, Spencer, Faguet et bien d’autres moins connus. Des préoccupations fort différentes, des opinions parfois contradictoires, la même application à comprendre pourquoi notre Administration est ce qu’elle est, c’est-à-dire un ensemble historique homogène, peu ressemblant à d’autres expériences, anglo-saxonne, allemande, etc. Avant nous, ces sociologues ont su repérer les grands problèmes ; ils demeurent les guides de toute Histoire véritablement significative.
Nous méditerons plus d’une fois leurs leçons. Nous entrons donc dans une voie déjà largement ouverte depuis plus d’un siècle. Afin de diversifier les points de vue, il est nécessaire d’encadrer la matière du programme dans un plan d’étude, coordonné par quelques idées simples, complémentaires et clairement énoncées. C’est pourquoi ce Manuel est divisé en trois parties, groupant les problèmes de manière à donner de l’histoire administrative française, non seulement une connaissance sommaire, mais une compréhension aussi totale que possible.
1° Le point de vue génétique permet de comprendre que notre Administration résulte d’un mécanisme d’évolution se développant sous l’action d’un milieu. L’Histoire administrative reconstitue un processus mettant en présence deux facteurs essentiels : le temps et l’espace. Ainsi apparaîtront les données élémentaires : la continuité et les ruptures, les conceptions sur l’évolution, les institutions dans leurs rapports avec le territoire.
2° Le point de vue morphologique permet d’observer l’histoire des différentes formes de l’expansion administrative. Afin d’en saisir la logique, il est indispensable d’analyser l’organisation des fonctions classiques de l’Administration, en tenant le plus grand compte de la manière dont ces fonctions sont ajustées aux buts que poursuit l’État. On ne peut comprendre l’Administration du XXe siècle, affrontant de nouvelles tâches, sans faire une très large place à l’examen de ses fonctions traditionnelles.
3° Le point de vue systémique doit persuader de la cohésion de l’ensemble. L’objet d’étude devient le système administratif en tant que « modèle » (pattern). Dans cette troisième partie, le Droit administratif apparaît non plus comme réglementation particulière, mais comme une totalité de principes et d’institutions ayant une signification générale, fondée sur des enchaînements historiques. Un second groupe de problèmes se rattache à cet examen du modèle : la formation de la bureaucratie française en tant que type d’organisation, dont on commence à découvrir aujourd’hui les traits spécifiques.
P.L.
Représentation exacte de la salle de Bourbon au Louvre, où se tint l’Assemblée des États-Généraux de 1614