Ars Dogmatica

Pierre Legendre

Théâtralisation du monde. La vibration subjective des sociétés

Instituer la scène – scène des mots, scène du Miroir –, ainsi pourrait être résumée la fonction de toute société pour le sujet du langage, fonction qui comporte que la société soit elle-même constituée en figure de l’espèce, cette espèce particulière affligée du langage. Il s’agit de permettre à l’homme d’habiter l’univers des signes, sur la base d’une exigence vitale : le pouvoir de produire et de pérenniser le montage de cette figure, à travers la vie et la mort des individus. L’homme n’habite le langage qu’institué dans et par la culture.

Marqué de précarité, arrimé au destin de son devenir, le vivant parlant demeure. Cela fait qu’une société est lieu de résonance, chambre d’écho renvoyant à chacun l’énigme de l’altérité logé au cœur de son identité, mais aussi qu’étant elle-même construction de discours transcendant chaque sujet particulier, elle inscrit à son titre propre, dans la trame d’un Texte traversant les générations, ce qui fait loi pour le sujet parlant, à savoir la division. En somme, la question de l’identité, au sens du mécanisme spéculaire – mécanisme non détachable de la problématique du langage –, est au cœur du fonctionnement social, à commencer par la constitution de la société elle-même prise dans les enjeux de la parole, c’est-à-dire considérée comme instance à laquelle puisse être imputé de tenir un discours. Mais comment une société peut-elle parler ? La question de l’identité à l’échelle sociale devient alors question de la Raison dans et de la société.

Il n’est pas d’accès positiviste à cette affaire. Habiter le langage signifie concrètement vivre l’imbrication identité/ altérité sous toutes ses formes. Le monde parle au scientifique, au musicien, à nous tous. S’il en est ainsi, c’est que le monde vient métaphoriquement en place et lieu de l’autre en qui je me retrouve. Par le travail esthétique, qu’est-ce qu’une société accomplit ? De l’orchestre s’élève la vibration des instruments, et de la scène monte la voix des chanteurs : à qui s’adressent-ils, qu’est-ce que cette multitude d’autres qu’on nomme un public ? Mais aussi, les choses et les animaux, parce qu’ils sont nommés, entrent dans le face à face avec l’autre. Ainsi l’humain joue sa partie identificatoire, par l’opération langagière il met le monde à distance pour se l’approprier, et ce faisant il vit d’une réunion / séparation aux multiples facettes.

Si l’on comprend que tout cela suppose l’œuvre de la culture, un au-delà excédant l’horizon de l’individu qui passe, on conçoit alors, et alors seulement, qu’une société n’existe que constituée en univers autonomisé à partir de la fiction portée par le langage, à partir de la scène spéculaire déployée. Ici, la logique de la représentation nous éclaire.

En effet, de même que l’humain, pour vivre, exige une scène – scène de la réalité et scène du fantasme – et que s’y écrive un discours, c’est-à-dire selon la littéralité de l’étymologie exige et porte en lui le lieu d’ombre et de ténèbres qui le sépare du monde1, de même toute société, pour exister, transpose et transcende un lieu logique vide en en faisant le lieu d’ombre et de ténèbres que nous appelons une scène, où va s’écrire l’équivalent d’un scénario, le discours des images qui portent le fonctionnement institutionnel ; en d’autres termes, elle élabore par des montages une scénographie constitutive. Nous touchons là au pouvoir d’instituer la vie, au fonds structural de l’agencement civilisateur, par l’établissement de cette scène portant l’édifice social, support des fictions qui nous autorise à penser l’ordre normatif à compter d’une théâtralisation structurante. Et c’est autour de ce point de négativité positivée – la scène vide peuplée – que s’articule la rencontre du subjectif et du social.

Précisons la notion de théâtralisation, cette idée de scène vide peuplée, cadre de fiction à l’intérieur duquel s’élabore la rencontre du subjectif et du social. La question qu’il s’agit pour nous de cerner vise le mécanisme qui permet à ce que nous appelons une société d’exister, non comme addition de discours particuliers (l’équivalent d’une caisse enregistreuse), mais comme instance à laquelle puisse être imputé un discours propre, et donc comme lieu d’inscription d’enjeux de représentation qui ne sont pas ceux d’un sujet particulier, mais relèvent d’un sujet de fiction et sont par conséquent rattachables, de par la même logique structurale à l’œuvre, à la problématique générale de l’identité. Au regard de l’objectivation positiviste, cela n’est pas possible, car l’idée de mise en scène d’un Sujet monumental, autrement dit d’un système de discours d’essence théâtrale, qui serait la condition de la normativité sociale, ne saurait être que vision magique, c’est-à-dire primitive, et donc non pertinente pour rendre compte d’un fonctionnement moderne aussi. Pourtant, il en est bien ainsi, et il suffit pour s’en convaincre d’observer la manœuvre juridique des États inventés par la civilisation européenne : un État est une personne sous statut institué de fiction et c’est à cet État-Sujet de droit, instance garante de la causalité dans le montage législatif et judiciaire, que sont imputées les catégories dites de droit des personnes, notamment en ce qu’elles traitent de la division des sexes, de la parenté, etc. Anthropologiquement, quelle différence de principe avec un montage fondé sur le Totem ? Strictement aucune.

Cela étant posé, il ne suffit pas d’admettre un tel fonctionnement comme un fait, voire de reconnaître que l’analogie État / sujet puisse être poussée jusqu’à sa limite extrême – par exemple, qu’un État se suicide2–, car l’essentiel pour nous est de saisir la logique à l’œuvre, de comprendre, de l’intérieur de la structure, comment s’agence la transposition et pourquoi elle commande aux règles d’une société, conçue dès lors comme un univers d’effets de représentation fondés sur les montages de l’identité. Nous retrouvons l’idée de la scène vide peuplée, mise au service de l’ordre social du sens, prenant soin de noter que la culture n’instaure pas le vide à l’œuvre de par la logique du langage, mais l’institue. Elle le prend en charge et lui donne droit de cité à travers un « système de simulation » – formule que j’emprunte au juriste néerlandais Grotius (XVIIe siècle). C’est pourquoi le terme « théâtralisation » est le plus approprié pour désigner l’opération langagière constitutive de l’institutionnalité à sa racine.

Ainsi, à partir du concept de théâtre, qui renvoie non seulement au regard fasciné, mais côté scène au pouvoir de montrer par la fiction – ici, pouvoir sur l’ordre social du sens3 –, se dessine le jeu de la transcendance sociale qui dématérialise la matérialité à un niveau qui, surplombant celui du sujet particulier, ouvre les voies de l’appropriation humaine du monde à la société considérée. Du même pas, nous comprenons que, si la transcendance de la scène sociale relève du hors-temps de la logique, la théâtralité concrète se déploie historiquement ; les contenus en sont donc variables, car appelés à devenir caducs dans le renouvellement indéfini du sens.

Pour appréhender les sources profondes de cette transposition de la logique langagière, revenons à la scène subjective. Dans la civilisation techno-rationaliste, nous avons sous la main ce qui fut la matière de l’herméneutique religieuse et demeure le travail poétique des arts : la re-création du monde par le discours, cette dématérialisation de la matérialité qui devient scène peuplée par la pensée esthétique. Un texte poétique de Francis Ponge servira d’exemple.

Dans son écrit La Crevette dans tous ses états, nous lisons : « C’est alors que du fond du chaos liquide et d’une épaisseur de pur qui se distingue toutefois assez mal de l’encre, parfois j’ai observé qui monte un petit signe d’interrogation, farouche. »

Tirons la leçon de cette lecture comme d’un verset biblique. Il n’est pas de parcelle du monde qui ne fasse miroir, « une épaisseur de pur », où l’on se retrouve de quelque manière ; pas d’objet démuni de mots qui ne renvoie au gouffre des images et ne rappelle à chacun qu’il vit séparé de son insu. Serait-ce que nous déléguons au monde cette part tragique, la séparation d’avec soi-même, pour en faire matière de toute pensée ? Et si nous poursuivons la lecture de Ponge, nous y lisons la crevette métamorphosée en signes d’écriture : « …bâtonnets, virgules, peut-être d’autres signes de ponctuation… », ou encore « … idéogrammes indifférents4 ». Aussi bien, ces propos introduiraient l’Occidental aux transpositions de la corporalité dans les idéogrammes, à l’amour des signes comme effigies dans la Chine classique.

Mais que nous enseigne le discours poétique de Ponge, qui puisse préparer à saisir la transposition de la logique langagière sur la scène constitutive de la société ? Il permet de distinguer deux aspects de cette logique à l’œuvre, mis en relief par le paradigme spéculaire.

D’une part, dans cette scénographie de la Crevette, c’est de lui-même que parle Ponge, évoquant « les douleurs et les angoisses que partout la vie suppose ». Il expose son propre tripot des images, un cheminement spéculaire avec ce qu’il implique de délégation ou transfert métaphorique : aller de soi à soi en passant par un lieu-tiers, par le lieu du Miroir. Ponge se décrit lui-même, quand la chose advient comme signe, « signe d’interrogation, farouche », et nous en recevons le message : l’humain est comme arraché à l’opacité, tiré, séparé, par cette « épaisseur de pur », du pur écart de la représentation par le truchement duquel l’objet advient, tout d’abord et dans l’insu, comme image de soi.

Arrêtons-nous sur ce point. Tel est l’énigmatique troisième terme du mécanisme identificatoire, un pur écart, la matrice de représentation qui sous-tend la relation entre l’univers subjectif et la choséité. Là est la grande affaire de la division inhérente à la logique langagière : pour que le monde soit représentable à l’homme, ce monde doit lui appartenir comme image, et d’abord image de soi. Cela suppose un intervalle, l’invisible « épaisseur de pur » à travers laquelle l’animal parlant accède à l’univers des objets comme part de lui-même. Cet intervalle, le poète, parleur-interprète de la structure, l’a qualifié à sa façon : « le défi des choses au langage », ou encore « l’indifférence entre la chose et les mots5 ». Ce à travers quoi nous est donné de pouvoir vivre notre condition, Aristote l’a nommé pour son compte de philosophe : « Il y a donc du diaphane6 » . Ce point capital – la problématique de l’intervalle, du diaphane, de l’écart –, nous le retrouverons au fil de nos développements.

D’autre part, surgit la question de la valeur du texte poétique comme rencontre du subjectif et du social dans le travail autour de l’identité. L’écrit du poète traduisait un échange avec lui-même ; mais Ponge aussi nous l’adresse, et cet écrit soudain prend statut autre, il entre dans nos montages herméneutiques. En quoi l’œuvre individuelle, mise en circulation socialement, contribue-t-elle à l’édifice institutionnel ? En quoi une création peut-elle être légiférante, ou pour reprendre un thème célèbre de la culture européenne, relever d’une fonction – un « officium » - rapportable à l’exercice d’un empire7 ?

La réponse est simple : en ce qu’une telle œuvre enrichit les ressources symboliques de la société considérée. Encore faut-il saisir ce dont il s’agit, illustré ici par l’écrit de Ponge et valable au plan général. Le langage est une opération d’échange, au sens où elle met en rapport et fait tenir ensemble, par le tiers-terme, par l’écart qui la sous-tend, deux registres opposés et solidaires ; en d’autres termes, l’opération langagière comporte l’échange actif entre la matérialité et sa construction indéfinie dans la représentation. Ainsi spécifié, ce faire tenir ensemble désigne exactement ce qu’on nomme, d’un terme aujourd’hui émoussé, symbolisation8. Selon l’ordre plus ou moins complexe des places instituées de discours et selon les niveaux d’autorité où s’inscrivent les créations individuelles (artistiques, scientifiques, techniques), celles-ci contribuent à façonner la société comme espace de symbolisation généralisée. Et cela nous renvoie nécessairement à la rencontre du subjectif et du social comme travail autour de l’identité.

Élargissons le propos. La notion de faire tenir ensemble s’applique au concept d’État (du latin stare = se tenir debout), tout autant qu’à celui de Totem, en ce sens que ces montages circonscrivent la place de discours surplombant celle du sujet particulier et à laquelle est référée, comme à l’instance causale, la série des effets normatifs (généalogie des images, enchaînement des catégories) concernant le statut du sexe, la parenté, les filiations, en un mot le nœud social de l’identité, que traduit l’interdit de l’inceste. La normativité apparaît alors posant la question du commerce avec le lieu du Miroir institué, en l’occurrence la place de l’État ou du Totem. Dans son principe, la normativité a donc affaire à la frappe médiatrice de l’écart devenu intervalle actif, à la diaphanéité – un mot qu’utilise Ponge aussi et qu’Aristote évoque comme le moyen terme entre des termes opposés9 –, ce qui justifie qu’on puisse parler de Miroir social.

Nous pouvons maintenant conclure par l’écriture sociale de l’identité, question au cœur du présent ouvrage. Tablant sur le fonds structural dont nous venons d’esquisser l’approche, une société se constitue à la base en « système de simulation » – architecture qui mobilise la logique de la parole en usant des grands moyens fictionnels –, faisant jouer le procès spéculaire. En résumé, on doit distinguer deux aspects de ce mécanisme, formulables ainsi :

Qu’est-ce que l’image d’une société ? C’est l’ensemble des règles et des savoirs repérables comme montage institué de discours, qui postule un scénario garant de la causalité auquel est rapporté cet ensemble, en telle société historiquement et géographiquement spécifiée. Une société n’est pleinement appréhendable que reconnue soumise à la logique de la représentation. On y parvient, si l’on saisit le mécanisme social de la réflexivité. Pour peu que l’on prenne acte de nos propres pratiques culturelles, la voie en est ouverte. À preuve, la tradition intellectuelle sur la société qui se regarde – regard d’encyclopédiste depuis le genre médiéval du Speculum (= Miroir10) ; ou du côté de l’esthétique politique, la tradition iconographique dans notre scénario garant de la causalité nationale : ainsi, les personnifications renvoyant à la figure maternelle de la femme-France, de la femme-République11.

Ces indications sont essentielles. Dans notre entreprise ici, la démarche consiste à repérer la structure d’un montage, le procès de la symbolisation sociale, dont les éléments peuvent être répertoriés : 1) le scénario d’une fiction fondatrice, mythologiquement construit comme discours de Référence ; 2) l’agencement de règles et de savoirs prenant statut d’effets de représentation (l’image propre de la société), toujours rapportables à leur Au nom de… , à leur cause idéale, la fiction fondatrice ; 3) l’effectuation symbolique, c’est-à-dire l’opération de rapprochement de ces deux registres, le mythologique et le normatif, synthétisés, si l’on peut dire, par la présence en creux du troisième terme, leur écart qui rend possible, dans la tension, le jeu du sens. Cette ternarité de la structure sociale, corrélative à la structure langagière, oblige à traiter le concept de société en des termes renouvelés, que traduisent les notions de dogmaticité et de Texte.

Que stipule la spécularité sociale, quant aux procédures identificatoires de l’individu-sujet ? Cette interrogation implique reconnaissance de la dimension normative du langage. Ainsi est-elle à contre-courant de la doxa contemporaine, qui oppose le sujet insulaire, autofondé, et la contrainte sociale. Séquelle du traumatisme des expériences totalitaires au XXe siècle, la lutte anti-tabou semble avoir atteint son classicisme en termes de duel à mort : le sujet contre la normativité. Véhiculés il est vrai par les nouvelles facilités intellectuelles, ces simplismes tendent à rendre impensables les enjeux d’identification du sujet, livrés à l’arbitraire du scientisme triomphant.

Pour concevoir la relation imaginale, inconcevable aujourd’hui, du sujet au Miroir social, référons-nous a contrario à la désubjectivation de masse, effet inouï d’une subversion instituée de la logique spéculaire. De nos jours, avec d’autres contenus de discours, mais sans avoir brisé l’encerclement positiviste, la pensée occidentale poursuit l’essai d’expérimenter une mutation de l’espèce – fabriquer l’Homme nouveau –, en touchant au noyau langagier, au point sensible de celui-ci, l’écart porteur de la représentation et son effet de division subjective. Ainsi, le rapport du mot et de la chose ne serait plus intérieur au langage, la tension entre la choséité matérielle et l’image dans sa profondeur sue et insue serait abolie. Délestée de sa négativité intrinsèque, la représentation se trouverait enfin maîtrisée, soit comme pure matérialité, affranchie de l’enveloppe du langage, et prenant à ce titre statut d’objet scientifiquement inventorié et manipulable – en fait, traitée en système de signaux animaliers – ; soit comme expression directe d’une authenticité subjective auto-jaillissante et auto-légitimée, déliée de toute contrainte de montage.

Paradoxalement, l’état présent de la civilisation du droit civil illustre notre abord. Le scientisme, l’idéal anti-tabou, la réduction de l’institutionnel au gestionnaire n’ont pu se propager qu’en empruntant les voies dogmatiques ordinaires de la communication humaine : offres faites au sujet par la théâtralisation du lien social comme scène spéculaire instituée, scène construite comme Miroir de la société. Le lien social s’établit quand le sujet s’y retrouve, quand il se retrouve dans le scénario fondateur et dans l’agencement des règles et des savoirs, autrement dit dans l’ensemble du montage de la culture, de sorte que l’humanisation du lien est à la merci du « jeu », plus ou moins ouvert ou fermé par la manœuvre symbolique qui fait tenir ensemble les termes. Institutionnellement, ce « jeu » constitutif de la symbolisation se résout en fonctionnement d’interprétations. Que devient, sous la férule scientiste, ce pouvoir de faire tenir ensemble, qui canalise les identifications, y compris inconscientes, du sujet ? On sait ce qu’il en est, car quelles qu’en soient les modalités politiques, religieuses, économiques, toute subversion de la logique de la représentation travaille contre ce « jeu », réduit la marge herméneutique, c’est-à-dire désinstitue la vie. Le cynisme de notre époque a inventé la formule qui résume la casse du montage ternaire : la perte des repères.

Au fil des développements, nous retrouverons un universel des cultures : le pouvoir sur les images par la manœuvre spéculaire, pouvoir d’essence absolutiste. Cette problématisation engage des concepts anthropologiques majeurs et des registres solidaires. Ainsi : la société comme réserve de l’impossible pour le sujet ; la facture institutionnelle de l’interdit de l’inceste et du meurtre, arrimé au pouvoir de fonder la légitimité. Enfin, cette mise suprême des civilisations, où se joue le destin de la parole : le marquage social de places de discours hiérarchisées dans un monde généalogiquement organisé, marquage qui notifie au sujet passant la profondeur et l’irréversibilité du temps.

 

 

1. Les travaux étymologiques rapprochent σκηνή (skèné), scène, de σκότος (skotos), ombre, ténèbres. Voir le Greek-English Lexicon de Liddell et Scot, Oxford, Clatenton Press, éd. 1968, p.1608, 1615 et P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1980-1983, p.1015-1016, 1022. 

2. La disparition de l’État allemand en 1945 relève de cette analyse : faisant corps avec le Führer suicidé, l’État était constitutionnellement et juridiquement mort.

3. Théâtre est le substantif issu du verbe grec θεάομαι (theaomai), qui signifie voir, examiner, avec admiration. Et où il y a théâtre, il y a acteur, en grec ὕποκριτής(hypocritès), l’interprète et, par extension, le simulateur, l’hypocrite. Sur cette problématique, Leçons I, p. 63, 233 sq. (« La logique de la représentation et son exigence théâtrale » ).

4. Francis Ponge, « La Crevette dans tous ses états », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, I, 1999, p. 699 et 710-711.

5. Ponge dans L’Œillet et dans un entretien avec Ph. Sollers ; cf. Œuvres complètes, op. cit., p. 356, 1138.

6. Aristote, dans son Traité De l’Âme, 418 b, 4-9, passage longuement étudié par A. Vasiliu, dans Du Diaphane. Image, milieu, lumière dans la pensée antique et médiévale, préface de J. Jolivet, Paris, Vrin, 1997, p. 44 sq. Voici ce texte, dans la traduction de Vasiliu, ici légèrement remaniée : « Il y a donc du diaphane. Par diaphane, j’entends ce qui est visible, que nous ne dirions pas visible en soi, mais à cause d’une couleur étrangère. Tels sont donc l’air et l’eau et plusieurs corps solides ; non pas que l’eau ni l’air soient diaphanes, mais parce qu’il y a quelque nature identique contenue dans l’un et l’autre et aussi dans le corps éternel, celui d’en-haut. » Cette dernière note cosmogonique réfère les contenus de représentation à une nature articulée selon plusieurs niveaux.

7. Le thème de la fonction du poète (officium poetae), artisan de la fiction comme le juriste, renvoie à la maxime d’Aristote ( « l’art imite la nature ») reprise par les médiévaux, notamment par les juristes, et à la fiction impériale appliquée au couronnement de Pétrarque sur le Capitole en 1341 ; cf. E. Kantorowicz, « La Souveraineté de l’artiste. Note sur quelques maximes juridiques et les théories de l’art à la Renaissance », trad. L. Mayali dans Mourir pour la patrie, Paris, PUF, 1984 (recueil d’articles), p.31-57.

8. Les symboles, σύμβολα (symbola), sont deux moitiés ou deux parties bien ajustables d’un même osselet ou d’une même monnaie, qui servent à deux personnes liées par l’hospitalité ou quelque contrat à se reconnaître.

9. Ponge dans « La Crevette… », op. cit., p. 700. Relevons la formation du terme diaphane. Le préfixe  διά (dia) signifie à travers ; le verbe φαινω (phainô) a le sens général de montrer, mettre en lumière, faire connaître ; cf. Chantraine, Dict. étym. de la langue grecque, op. cit., p. 275, 1170-1171. Diaphane veut dire transparent (sens retenu par le français), mais aussi par glissement de sens, incandescent, brillant, puis évident, patent, enfin éminent, glorieux, connotations qui, dans notre perspective, visent la problématique de l’entre-deux et des métaphorisations de l’écart. La transparence ici n’a donc rien à voir avec l’idéologie de l’Homme transparent, marionnette des propagandes contemporaines. L’exégèse de Vasiliu (loc. cit.) indique que la diaphanéité aristotélicienne désigne ce qui sépare ou déchire, ce qui permet une traversée. Enfin notons, chez Platon, la formulation de l’intervalle comme ce qui se trouve entre, τό μετάξύ (to metaksy) dans un célèbre passage du Banquet, 202 a, où Diotima explique à Socrate qu’entre science et ignorance il existe un intermédiaire.

10. Au premier rang des auteurs de tels traités, « Miroir », Guillaume Durand (XIIIe siècle), surnommé Speculator.

11. Lors de la Révolution de 1848, l’épiphanie républicaine de la femme-France-République est fixée iconographiquement ; cf. C. Georgel, 1848. La République et l’Art vivant, Paris, Fayard, 1998.

 

Extrait de  De la Société comme Texte, Fayard, 2001, p. 23-34.

Emblème

Solennel, l’oiseau magique préside à nos écrits.
Le paon étale ses plumes qui font miroir à son ombre.
Mais c’est de l’homme qu’il s’agit :
il porte son image, et il ne le sait pas.

« Sous le mot Analecta,
j’offre des miettes qu’il m’est fort utile
de rassembler afin de préciser
sur quelques points ma réflexion. »
Pierre Legendre

« Chacun des textes du présent tableau et ses illustrations
a été édité dans le livre, Le visage de la main »

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