Ars Dogmatica

Pierre Legendre

Incipit de la Préface générale du Trésor historique de l’État en France

À l’approche des grands périls, le mot « État », qui depuis si longtemps vacille en France, doit être éclairci en utilisant les grands moyens. J’entends par là, mettre les points sur les i en revisitant les contenus d’une forme étatique centraliste usinée sur la partie Ouest du continent européen au cours du dernier millénaire. Appelons cette forme l’État à la française.

En lui-même, la formation du concept de forme étatique se réfère au plus concret d’une expérience historique du pouvoir tel qu’imaginé, vécu et transmis par la Romanité guerrière dans les limites de son expansion territoriale. Mais la forme centraliste, dont la maquette structurale demeure l’expérience fondatrice du Saint Siège, est un caractère acquis de la Nation française, non le résultat d’un choix.

Cette précision indique qu’essentiellement nous relevons d’une tradition propre à l’Europe. Notation d’importance qui balaie l’illusion entretenue par l’Occident. Car cette tradition n’implique nullement une sorte de vide planétaire que la culture issue du creuset européen aurait eu, ab initio, vocation à combler !

Aujourd’hui, au casino des relations internationales les jeux sont faits. Occupant un espace de significations usurpé, le Management généralisé mine, de l’intérieur, le concept d’État qui tend à devenir un paravent. Les conséquences sont sous nos yeux.

À Paris comme ailleurs en cette Europe de l’Ouest devenue glacis des États-Unis, sous l’œil omniscient de l’OTAN, on pratique la politique comme s’il s’agissait d’un espace virtuel, jusqu’à se glisser hors de toute prudence vers les abords du Caucase ! À Bruxelles, les dirigeants de l’entité flasque dite Union Européenne s’exercent à la démesure, comme dans un jeu vidéo l’adolescent défie le genre humain. Tandis que sur la rive opposée de l’Atlantique, l’Unus Imperator in orbe américain — Seul Empereur dans le monde — un Jupiter épuisé mais prodigue en menaces, place et surveille ses pions au nom du droit. Et dans la désignation des ennemis un jour ou l’autre promis à la conversion forcée, la smala des supplétifs européens suit les consignes du Colosse.

La mémoire courte est le pire ennemi de la pensée. L’enjeu généalogique des peuples demeure un abécédaire, dans la confrontation mondiale. En Asie, en l’extrême-est de l’Europe, en Afrique et sur l’immense no man’s land océanique, des conflits à mort sont en attente. Ainsi, les convulsions actuelles, telles que la propagande Cancel Culture, ou l’Internationale du genre, etc. sont le cache-misère d’un Occident sourdement assiégé.

Au cœur de l’oubli, plus exactement du refoulement français : la logique du savoir-faire appelé l’art de gouverner, c’est-à-dire littéralement l’art de tenir le gouvernail d’un navire — métaphore nautique des Romains, reprise par l’Église latine, et dont n’a pas manqué de s’inspirer la mythologie de l’État français… y compris dans la mise en scène de sa Ville capitale, décorée de la devise « Fluctuat nec mergitur ». (…)

 

(…) Réfléchissons à la boussole de ce livre, riche de facettes contrastées, mais porté par les profondeurs d’un questionnement unificateur : comment l’État administrateur, de style français, tient-il debout ? Et dans quelles conditions peut-il encore tenir la mer ? (…) 

Emblème

Solennel, l’oiseau magique préside à nos écrits.
Le paon étale ses plumes qui font miroir à son ombre.
Mais c’est de l’homme qu’il s’agit :
il porte son image, et il ne le sait pas.

« Sous le mot Analecta,
j’offre des miettes qu’il m’est fort utile
de rassembler afin de préciser
sur quelques points ma réflexion. »
Pierre Legendre

« Chacun des textes du présent tableau et ses illustrations
a été édité dans le livre, Le visage de la main »

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