Ars Dogmatica

Pierre Legendre

Post-scriptum

“Un monde intolérablement précis” Jorge Luis Borges, Artifices

Dans l’après-coup de cet écrit, il n’est pas superflu de tenter une réflexion générale sur le destin de l’État dans le contexte français et européen – l’État comme forme politique, variable et périssable.

L’avenir est une lettre cachetée, le présent indéfinissable et volatil. Il ne s’ensuit pas que nous soyons quittes des fardeaux de l’histoire ni sans ressources pour rendre à tout le moins intelligible une position d’être, si l’on peut dire, aussi étrange que la défaite décrire par Marc Bloch ayant sous les yeux la débâcle de 1940. Dépressive dit-on, plutôt marquée par une désespérance sociale que recouvre un narcissisme de masse flatté par les aveuglements contemporains, la France en tant qu’humanité particulière généalogiquement assignée, aux prises avec ce que par euphémisme la doxa nomme perte des repères, est sommée de se situer.

L’intérêt d’introduire ici la notion de destin 1 est d’éclairer cette formulation. Se situer est l’essence même du rapport généalogique : rapport à soi et à ce qui n’est pas soi. Cet impératif du sujet vaut à l’échelle des peuples. En l’occurrence, il s’agit d’interroger la possibilité d’une réflexion sur le fond même de ce qui nous tient, nous lie à une institutionnalité spécifique, le montage français, non détachable de l’historicité européenne.

Dans une telle perspective, la Globalisation / Mondialisation (du modus vivendi et cogitandi occidental) souligne lourdement un fait : nous sommes qui nous sommes, les descendants d’une civilisation méthodiquement exportatrice de sa représentation de l’homme et du monde. D’où, l’expansion de l’Occident par clonage, légitimé de nos jours non plus par les théologies chrétiennes, mais par les sciences sociales et politiques qui, sous l’emballage « Démocratie universelle », disséminent à tout-va des théories en quelque sorte surgelées, discours à consommer dont on sous-estime le potentiel dévastateur.

Cette démesure, si elle est constatée et prise au sérieux, conduira ceux que ne découragent pas les doctrines de fer contemporaines à faire retour vers notre propre site historial. C’est ainsi que j’en­tends l’éventuelle possibilité d’une réflexion sur le destin, s’agissant ici, pour la Nation française, d’avoir à se situer, par rapport à soi et à ce qui n’est pas soi.

Par voie de conséquence, cette perspective rendrait possible aussi, dans l’actuel contexte de délitement du lien à la Tradition au sein de nos sociétés livrées au déchaînement libéral-libertaire, de formuler la question muette posée à l’instance étatique, en même temps qu’aux escouades de chercheurs spécialisés, par nombre de jeunes issus de l’immigration et vivant à l’abandon psychique et social : comment est-il possible de s’intégrer à la désintégration ?

La réflexion sur l’État, tout comme la réflexion sur le sujet, se détermine et se développe selon un certain code. L’entité étatique est plutôt vue en France à partir de la zone éthérée des principes, délimitée par une philosophie militante assez proche d’un discours de piété laïque et par un droit constitutionnel réservé à une classe de juristes casuistes et de journalistes spécialisés. À peine perçoit-on l’écho lointain d’une jungle. internationale où s’affrontent les nouvelles formes féodales de pouvoir aux ambitions transcontinentales, qui n’entrent pas dans les cases élaborées par la théorisation politique héritée du passé.

Ainsi, la prédication française suit sa routine, laquelle a le mérite de rappeler qu’existe une tradition : les variantes de la droite et les variances de la gauche se font face. L’historiographie des droites, puis des gauches, parvenue à la perfection érudite, est finalement un décryptage de psychologie politique à l’ancienne, qui ne rend pas compte de la structure essentialiste de l’État en France, structure devenue infantilisante jusqu’au stade décrit avec précision par Michel Schneider sous l’ironique formule de Big Mother 2. Dans ces conditions, notre classification la plus chère (gauche / droite) qui, si ma mémoire ne me trahit pas, fut d’abord une idée du bon docteur Guillotin lors de la Révolution, parvient à enténébrer la vie sociale elle-même. À y regarder de près, cette prédication refoule la question centrale, jugée subalterne, de la fonction Administration sous le règne du Management généralisé, précieuse omission qui préserve les Français de considérer leur conservatisme foncier.

Il est devenu très difficile en cette année 2015 d’envisager comment évoquer de façon audible cet État évidé aux prises avec la dépossession imposée par la techno-science-économie mondialisée et le libéralisme dominant, mais qui continue d’être parlé et pensé selon un schéma intouchable. Repasser la litanie des concepts sanctifiés (République, Égalité, Démocratie, Modèle français, Union sacrée, etc.), demeure une thématique inépuisable. Par contraste, entrer dans le vécu logique et les replis historiques du centralisme, au prix d’analyses venant contrarier le ressassement social ou froisser le réflexe universitaire, est une entreprise inconvenante… Le conformisme se prive des leçons d’un libre examen des formes centralisées, traditionnelles ou inédites, capables ou non d’assouplissement selon qu’elles portent en germe la dictature.

Exemple privilégié à méditer par la science politique française : la dernière dictature en Europe, le Saint-Siège si on le considère comme un État (statut controversé), en quête d’une issue pour s’adapter aux temps nouveaux (bouleverser la doxa millénaire, tenter les conférences épiscopales nationales, expérimenter en douce une inédite dyarchie 3… ). Plus instructif encore, l’avènement des formes de dictature sans dictateur, à échelle variable, sous l’effet des perfectionnements de l’ordinateur, vécu comme une sorte de Robot souverain (système boursier à compétence mondiale, arbitre-maître du calcul dans les stratégies économiques, militaires… ). Retenons-en ceci : ce que nous appelons centralisme ou centralisation ne doit plus être abordé aujourd’hui, si j’ose dire, d’après le seul code mental français, mais en relation avec l’immense mouvement d’idées qui circulent autour des enjeux de rationalisation des pouvoirs, manière de parler l’universalité qui, sans que la technocratie, imperméable au doute, n’en ait le souci, touche au fonds de croyances dont s’alimente la vie des sociétés.

Ce que nous pratiquons en France, sous l’appellation contrôlée de centralisme, est en fait une religion du pouvoir infaillible qui s’ignore, plus proche du pontificalisme détesté que de la démocratie proclamée. Le gouvernement par les images, recette d’aujourd’hui, est un absolutisme qui ne dit pas son nom. Il noie la fonction étatique dans une espèce d’entreprise publicitaire, mais permet de pratiquer une gestion de court terme, pour ne pas dite d’heure en heure qui, pour affronter la complexité mondiale, s’en remet aux « réservoirs de pensée » (en américain savant, think tanks) conçus ici selon les humeurs intellectuelles du moment. Ce n’est un secret pour personne que le rapport social aux instances de pouvoir s’est transformé insensiblement en lien de soumission à l’infaillibilité de mises en scène. Entraîné à décrire ce qu’il appelait la Médiocratie (le règne des Médiocrités), Balzac eut en son temps le mot juste – d’une actualité cruelle pour nous –, mis dans la bouche de son brave « médecin de campagne » : « Avec le peuple, il faut toujours être infaillible 4

À partir de là, une question se profile : quel est aujourd’hui le crédit de l’État, plus précisément de l’État administratif (selon l’ancienne formule évoquant l’efficience du dispositif étatique français), auprès de ses ressortissants et dans sa relation avec les institutions concurrentes ? Parler de crédit, c’est envisager la dimension du fiduciaire. Le terme renvoie à la confiance, par exemple dans la monnaie, et si l’on remonte la filière du sens, il s’agit de la confiance inhérente au phénomène de la parole : nous avons confiance dans les mots. D’un point de vue structural, entendu ici au sens anthropologique, l’État est une fiction qui parle, son discours circule dans la société à l’instar d’une monnaie et à ce titre touche aux liens symboliques constitutifs de la culture.

Si l’on tient compte de cette dimension fiduciaire inhérente à l’échange humain, intersubjecrif ou social, nous comprendrons mieux la communication institutionnelle et politique. En effet, sur cette ligne de réflexion nous tombons sur la question de l’essence du pouvoir : qu’est-ce qui garantit la confiance ? Les Anciens nous ont transmis une seule réponse qui vaille, une aporie à méditer : «L’unique Berger des paroles, c’est la parole 5. » Autrement dit, le pouvoir de garantir les mots, ce sont d’autres mots, le discours tenu à partir d’une certaine place logique.

Ce détour inhabituel permet de renouveler l’abord d’un trait essentiel du nationalisme français, la foi en l’État, en cette entité désormais menacée comme pourrait l’être une monnaie dépréciée sur le marché des changes. Reprenons la métaphore antique du Berger : qu’est devenu l’État en tant que Berger des paroles, discours de gouvernement, et qu’est devenue la parole qui garantit le pouvoir du Berger c’est-à-dire le discours qui fonde ce pouvoir à exister et s’exercer ? Si les mots perdent leur sens, si les discours perdent leur crédit, à quelle sorte de boule­versement assistons-nous ? Par voie de conséquence, où serait l’utilité de tenter de penser le devenir d’un système administratif privé de boussole ?

Dès lors, considérons l’autre face du destin, la Nation française ayant à se situer par rapport à ce qui n’est pas soi. Immédiatement vient à l’esprit la question de l’Europe, au sens des incertitudes de l’Union européenne en tant que bloc de traditions (d’abord confronté à l’aire culturelle incomprise Russie/ Orthodoxie) et de sa relation non seulement avec son énigmatique prolongement, le Seigneur et Maître américain doté du pouvoir jupitérien, mais aussi avec l’ensemble mondial en tant que mêlée civilisationnelle plus ou moins confuse, qui déborde le théâtre (codifié selon l’esprit occidental) de l’Organisation des Nations Unies.

Or, pour l’instant, l’espace européen ainsi défini, l’UE, où cohabitent des montages nationaux non interchangeables et cependant contraints de participer à la construction d’un conglomérat unifié sous la férule bannasse des « intérêts communs» – une sorte d’Empire de conte de fée –, ne semble en mesure de soutenir cette unité que dans une atmosphère de grisaille, sans horizon autre que la vaine promesse d’un Bonheur politique sans épines. En dehors d’un étroit réseau de penseurs6 osant à l’occasion, comme dit la sagesse grecque, « parler hors les dents », le ton des discours sur l’Europe ne dépasse pas la mesure autorisée par les doctrines que véhicule la techno-science-économie débridée. Cependant, fût-il pour l’heure éliminé du champ de vision, le fondement historial de l’Occident demeure, l’enjeu généalogique est toujours là, avec ce qu’il comporte d’horizon idyllique mais aussi de potentiel meurtrier. La question du crédit de l’institutionnel européen est en suspens, la métaphore du Berger des paroles n’a en cet espace aucune portée.

Si décourageante qu’apparaisse en ce début du XXIe siècle la référence européenne, associée par l’opinion populaire au règne des lobbies, à la distribution de prébendes, à des pratiques anti-démocratiques (réitérer un référendum pour obtenir la réponse programmée !) etc., elle tient encore cependant l’inestimable fonction du Bouclier de la tragédie (voir Eschyle). Cette évocation poétique, reçue des Anciens, me permet de rappeler, dans le combat pour la pensée, l’importance d’un minimum vital symbolique, nécessaire à la coexistence pacifique des vestiges nationaux en Europe de l’Ouest.

Je précise. Il est essentiel de garder à l’esprit l’origine de l’Union européenne, la leçon tirée du phénomène nazi. Mettons bien en relief ce donc il s’agit : « La dictature hitlérienne a été l’effondre­ment de la civilisation moderne : une forme de souffle nucléaire […]. Elle a montré de quoi nous sommes capables7

Retenons donc ce point d’ancrage lugubre : la dévastation civilisationnelle, portée par un discours de dé-Raison. Aussi l’Europe instituée comme instance commune est-elle d’abord le résultat d’une réflexion qui tentait, pour ainsi dire, de recoller les morceaux de la Raison en ruine.

Cela souligne la difficulté d’asseoir d’emblée cette partie du continent sur une base plus consistante que le postulat économique qui faisait alors l’affaire, faute de mieux. À partir de là, quel est, au regard des données nationales ayant survécu au cataclysme, par rapport notamment à la réalité historique française, l’horizon du pensable et donc du possible ? Il s’agit de prendre acte de ceci : c’est en Europe, noyau originaire des deux conflagrations mondiales, que les systèmes administratifs nationaux ont été les premiers confrontés à la colossale transformation des États belligérants. La conception et l’organisation des moyens exigés par une violence méthodique sans précédent ont suscité une compétition scientifique et technique au service des pouvoirs, de laquelle provient la marque guerrière du Management.

L’évolution brutale du premier XXe siècle a brisé les isolats de pensée qui soutenaient le système ouest-européen avant la catastrophe. Cette rupture touchant la substance administrative de la forme étatique moderne n’a pas été saisie en France comme vrai­ment radicale, de sorte que la réforme de l’État devenue logorrhée de banalités se traduit en bricolages accumulés. La cause profonde du malaise institutionnel français, dont la persistance a des effets très négatifs sur l’Union européenne elle-même, ne relève pas de l’extérieur, mais du non-retour sur soi qu’aggrave un abaissement de la pensée sans précédent.

Ces remarques sur le destin d’une forme étatique nationale confrontée à elle-même et à sa relation ambivalente avec, si l’on peut ainsi qualifier l’UE, la Fraternité européenne touche au système social de pensée, très dépendant en France d’un intellectualisme fortement imprégné de ses sources catholiques – un trait ici refoulé mais visible au regard allemand8. Toutefois, l’essentiel est ailleurs : un vent de sophismes parcourt l’Occident tout entier et tend à formater les esprits. Une formule philosophique en honneur – « parler pour faire être » – traduit ce qui est à l’œuvre dans la pensée occidentale subjuguée par la suprématie technique. Le fantasme de toute-puissance, projeté par la tradition occidentale sur la Divinité biblique – relire le récit de la Genèse, 1, 3 (Élohim dit : « Qu’il y ait de la lumière », et il y eut de la lumière) – devient fondement de l’agir de l’individu divinisé.

Inévitablement, la réflexion sur les fonctions de l’appareil d’État s’en trouve affectée, car une telle orientation du penser ne peut que confirmer l’arbitraire technocratique pourvu de propagandes adéquates. Depuis Freud, on sait ce qu’il en est de la toute-puissance agie : elle table sur une infantilisation sociale (le réveil des croyances de l’enfant), déjà exploitée sans fard et à grande échelle, non plus par les bureaucraties totalitaires, mais sous nos yeux par les techniciens du marché et de la politique. Et c’est sur cette même base logique (la toute-puissance agie) que les réformes sociétales prêchées par l’Occident doivent faire l’objet de critiques, quand elles dynamitent les montages de la Raison.

À l’instant de conclure, il est opportun de rappeler que l’État et l’Administration publique sont à la fois une chambre d’écho du système de pensée en mouvement et l’articulation herméneutique nécessaire au fonctionnement de la société, dans le contexte de la culture ouest-européenne. Autrement dit, l’instance étatique a valeur anthropologique ; en tant que discours, elle est une instance d’interprétation des exigences historiales : soutenir ce qui du passé nous échoie et rendre habitables les lieux du présent.

Cette vision panoramique, conforme à l’esprit de mon ouvrage, amène une question décisive : quelle leçon peut ou doit en tirer l’historien ? Plus clairement : à quoi sert aujourd’hui de faire de l’État l’objet d’une recherche historienne, si le Temps n’est plus qu’un paramètre de l’agir efficace ?

La réponse est esquissée dans le bref énoncé posé en exergue comme une énigme de ce post-scriptum et que je restitue ici au récit de Borges, où quelqu’un d’assez bizarre, souffrant d’une mémoire totale (se rappeler chaque feuille de chaque arbre et chaque fois qu’il l’avait vue ou imaginée…), résume les exploits de son tourment : Ma mémoire, Monsieur, est comme un tas d’or­dures, dit le personnage enfermé dans un monde intolérablement précis9. Dès lors, notre question s’approfondit : que signifie la mémoire administrative de l’État et que veut dire l’expression « recherche historique » dans la société française (y compris en son ENA) attachée à ses œillères, assujettie à l’immédiat et donc privée d’horizon, si ce n’est celui que dessine le scientisme : le destin se résout en calculs ?

Il est maintenant aisé d’étoffer la réponse. Il y a, pour l’historien des formes institutionnelles, une bifurcation, le choix entre deux directions. Un premier chemin de broussailles. Il s’offre aux aventuriers de la pensée libre, il a fait entrevoir sa richesse aux novateurs qui nous précèdent : je pense particulièrement à Ernst Kantorowiz, Harold J. Berman, Eugen Rosenstock-Huessy, Friedrich Heer…, érudits qui mirent en relief ce que la doxa d’ici prétend gommer, le rapport entre toute construction étatique et le religieux, substance par nature explosive.

Il y a aussi l’autre chemin, parcouru par une foule de chercheurs-techniciens dont le mérite n’est pas mince. L’inconvénient est que cette voie est celle d’un savoir cumulatif, généralement applaudi pour la raison qu’il ne mène à rien – à rien d’autre qu’étayer l’épistémologie régnante quelle qu’elle soit et les débats autorisés. Assurée d’elle-même, cette érudition tantôt pratiquant l’art pour l’art, tantôt arrimée à une cause militante, s’entoure de frontières à la façon des juristes et théologiens historisants de jadis. Elle travaille à renflouer avec minutie et sans fin la mémoire sociale, de sorte que ce labeur n’est pas loin de ressembler à la besogne interminable et inutile du personnage d’Artifices, le tourment en moins.

La dernière note de conclusion, pour la méditation du lecteur, sera celle-ci : contrairement à notre adage d’Occidentaux, tous les chemins ne mènent pas à Rome, si l’on entend par là, à l’échelle de la planète, l’horizon du cercle généalogique à l’intérieur duquel vivent et se reproduisent les peuples comme les individus.

 

 Texte extrait de Fantômes de l’État en France. Parcelles d’histoire, col. Les quarante piliers, série Matériaux, Fayard, 2015, p. 215-224

 

1. J’use du terme« destin» en un sens bien précis, suivant en cela l’expression si forte des Latins, fata, qui de par son intime relation avec la langue grecque renvoie au lien de parole. La traduction la plus juste, confirmée par le discours antique sur le parricide (le meurtre du père, problématique aujourd’hui éliminée), serait : les paroles qui nous fabriquent.

2. Michel Schneider, Big Mother. Psychopathologie de la vie politique, Paris, Odile Jacob , 2002.

3. Orfèvre en diplomatie, le Saint-Siège fut le maître d’œuvre médiéval du système centralisateur de règles entre les Nations d’Europe (jus gentium , « droit des gens »). De nos jours, il a statut d’État vis-à-vis de l’État italien (les accords de Latran, en 1929, dénouent la question des États pontificaux). Internationalement, la doctrine juridique dominante le considère comme une organisation internationale. À l’intérieur, face à une crise profonde de son Administration (Curie), le Saint-Siège vient d’inventer le pape émérite, statut hors tradition. Pontife en titre et politique avisé, le pape François (élu en 2013) coexiste au Vatican avec son prédécesseur démissionnaire Benoît XVI, mis en scène sans fonction officielle et néanmoins présent comme conseiller privé - sans doute difficile à distinguer d’un éventuel co-décideur. Par ailleurs, les œillères laïques françaises ne permettent pas d’observer le rôle international en cette instance ni, à l’occasion, sa diplomatie discrète, mais provocatrice en tant que de besoin (par exemple, à l’égard de la Russie post-communiste).

4. Honoré de Balzac (admirateur de la construction centraliste depuis Louis XIV), Le Médecin de campagne, in La Comédie humaine, t. VIII, Paris, Gallimard, 1961, p. 366. « De la Médiocratie » est le titre du Chapitre IX du roman (p. 139 ss.).

5. Le thème platonicien du Berger, métaphore du Politique, est  repris au IIIe siècle de notre ère par Origène, Père de l’Église grecque traduit en latin, auteur sulfureux pour le christianisme d’Occident. Je laïcise la formule empruntée à la Philocalie, 6,1; édition grec - français, Paris, Cerf, coll. « Sources chrétiennes», 1983, p. 308 ss.

6. Perry Anderson, dans Le Nouveau Vieux-Monde fait le point sur les protagonistes du débat sur l’Europe.

7. Jan Kershaw, Hitler, Paris, Flammarion, 2008, p. 13.

8. Cf. Clemens Pornschlegel, Hyperchristen. Studien Zur Präsen religiöser Motive in der literarischen Moderne, Vienne-Berlin, Turia & Kant , 2011 (on y rencontre Brecht, Malraux , Mallarmé, Brinkmann, Deleuze).

9. Dans « Funes ou la Mémoire », Borges écrit : « Je soupçonne qu’il [Funes] n’était pas très capable de penser. Penser c’est oublier des différences, c’est généraliser, abstraire », Artifices, in Œuvres complètes, Paris, Gallimard, I, 1993, p. 517.

Texte extrait de Fantômes de l’État en France. Parcelles d’histoire, col. Les quarante piliers, série Matériaux, Fayard, 2015, p. 215-224.

Emblème

Solennel, l’oiseau magique préside à nos écrits.
Le paon étale ses plumes qui font miroir à son ombre.
Mais c’est de l’homme qu’il s’agit :
il porte son image, et il ne le sait pas.

« Sous le mot Analecta,
j’offre des miettes qu’il m’est fort utile
de rassembler afin de préciser
sur quelques points ma réflexion. »
Pierre Legendre

« Chacun des textes du présent tableau et ses illustrations
a été édité dans le livre, Le visage de la main »

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