Religion et Droit dans le développement de la pensée constitutionnelle 1150-1650 – Notice bibliographique
Religion et Droit dans le développement de la pensée constitutionnelle – 1150-1650 par Brian Tierney, Paris, Presses Universitaires de France, 1993, 150 p.
Grâce à cette collection et à quelques autres initiatives, la France commence à sortir de l’isolement intellectuel où nous avait plongés une histoire du droit entichée d’un étroit sociologisme, peu ouverte en général à la grande tradition européenne et surtout, dans une fidélité à des réflexes anciens et non critiqués, oublieuse des droits savants du Moyen Âge, ce socle commun des constructions normatives modernes de l’Occident.
Faire connaître Brian Tierney, fin connaisseur des sources romano-canoniques de l’institutionnalité européenne et de la conception occidentale du pouvoir (dans la lignée d’auteurs tels que G. Prost, E. Kantorowicz et tant d’autres, liés à l’effervescente érudite d’après-guerre autour, de S. Kuttner, E. Genzmer, H. Coing,… ), est donc un geste significatif, l’indication que nous sortons de l’immobilisme.
Cet ouvrage est le fruit de conférences à l’Université de Belfast et nous offre en quelque sorte un bon résumé des recherches conduites par Tierney à propos du pouvoir pontifical, des doctrines conciliaires et des théories de la corporation ; un trait caractéristique de ces travaux, qui en élargit encore l’audience, est une attention soutenue à la longue période. L’auteur est de ceux qui parviennent aujourd’hui à faire comprendre qu’en ce domaine névralgique de l’histoire des idées, ce que nous appelons Moyen Âge prend fin au XVIIe siècle ; alors commence un autre temps.
Ce livre précis et ramassé est consacré au déploiement de l’idée constitutionnelle entre les temps qui suivent la première diffusion du Décret de Gratien (composé vers 1140), ce monument canonique contemporain de la réappropriation du droit romain par l’Europe de l’Ouest, et la Révolution parlementaire anglaise, plus exactement dans le champ de la pensée juridico-politique, l’ouvrage de Lawson au titre si éloquent « Politia sacra et civilis ». Entre ces deux pôles, l’historien glane les textes, met en scène les concepts fondamentaux, rappelle les auteurs clé. Je note au passage l’extrême importance du chapitre III (Origines de la juridiction : hiérarchie et consentement), qui fait le point sur ce concept, à la fois flottant et crucial, de juridiction, appelé à tant de développements dans la théorie juridique ou politique aussi bien que dans la pratique des États issus du creuset scolastique ; on n’avait encore jamais exposé l’idée de juridiction (sur laquelle existe une littérature fleuve depuis le XIXe siècle érudit) avec une telle clarté.
De même, j’attire l’attention sur le fait qu’est présenté un panorama, sommaire mais essentiel, qui conjoint les sources médiévales classiques (Azon, ce romaniste du XIIIe siècle, si important en raison de l’influence de sa pensée sur la papauté de l’époque, d’Innocent III à Innocent IV) aux auteurs protestants qui contribuèrent à fonder la pensée politique de la Réforme déjà implantée (comme c’est le cas d’Althusius, calviniste allemand, auteur de « Politica methodica digesta ») ; ainsi l’historiographie contemporaine est-elle en train de surmonter un handicap, un refus tacite, qui fut longtemps de règle, de raccorder les doctrines institutionnelles du Protestantisme à leurs sources médiévales.
Toujours dans ce sillon de restauration historique des théoriciens, je relève l’insistance, si justifiée elle aussi, pour resituer Nicolas de Cues dans la succession des canonistes. Au plan des grandes questions évoquées, il faut citer : la diversité de la structure corporative dans la pensée romano-canonique des XIIe-XIIIe siècles, le cheminement des idées dont allait sortir le concept de fédéralisme, la souveraineté populaire et le gouvernement corporatif, et bien entendu le chef-d’œuvre parlementaire et son enracinement dans les doctrines conciliaires, enfin les réflexions des contemporains autour du Grand Schisme (événement capital qui mériterait d’être réexaminé).
En résumé, voici un. ouvrage à diffuser, qui mérite d’être classé parmi les instruments de travail intéressant non seulement les spécialistes de l’histoire dite des idées, mais tous ceux que préoccupe l’interprétation des productions culturelles majeures de l’Europe.
Pierre LEGENDRE
Revue Historique n°587 – Juil-Sept 1993 –, Notices bibliographiques, p.268-269.