Le côté nocturne d’un travail
J’ai souvenir d’une formule de Yukio Mishima, lue dans Le Soleil et l’Acier : « … passer d’un être créateur de mots à une créature des mots ». Si les mots, comme il dit encore, accréditent notre existence, cela signifie bien qu’un texte, résultat d’un travail solitaire, change de versant et devient autre quand il est repris, pour être annoté et jugé, par un commentateur. Ainsi ne suis-je plus le même, à voir l’image de mes écrits dans le miroir du présent ouvrage.
Oserai-je me regarder en philosophe ? Sans doute, mais soutenu par un discours déjà là, où je me reconnaisse : « Nous sommes ceux qui prétendons à la philosophie, la vraie si je ne m’abuse, non la spécieuse ». Les savants lecteurs de Luisa Avitabile eux aussi se reconnaîtront dans ce passage d’Ulpien au Digeste, qui fut pour moi un guide quand s’ouvrait un premier chemin dans la Forêt du droit.
Puisque m’est offert un nouvel abri de pensée, ce livre par lequel je vais converser avec des inconnus grâce à la médiation d’une exégète qui fut ma traductrice, je saisis de nouveau ce que comporte l’acte d’écrire, qui est aussi un art d’oublier. Après avoir extrait de la mine les matériaux d’une réflexion, élaborer et construire puis laisser. Jusqu’à devenir étranger à l’oeuvre. Revenir à l’obscur en somme.
En cette page qui vaut préface amicale, ma réflexion n’apprendra rien à personne. M’adressant au public italien, je ne peux que redire ma dette à la Romanité - Roma communis patria -, mais aussi au Florentin, à ses vers de la Divine Comédie, chant 33 du Paradis, qui m’ont découvert l’abîme des fondements, l’aporie du « principe qui manque ». C’est bien là, pour nous tous, le point de vérité, à partir duquel peut être indéfiniment reprise, d’une génération à l’autre, la question de ce qui fait loi pour l’humain.