La bureaucratie, la science et le rendement
Au sommaire d’une recherche
L’observation historique du système administratif français, encore insuffisamment développée1, ne permet pas seulement de comprendre rétrospectivement la genèse d’une bureaucratie remarquablement homogène et tributaire de traditions féodales, puis nationalistes ; elle offre également aux techniciens et critiques spécialisés une gamme étendue d’analyses, portant sur les capacités du modèle de se réformer ou d’absorber les technologies qui constituent, en somme, le code universel de la technocratie gestionnaire depuis une dizaine d’années.
Le fait est là. Sortie tout armée de cerveaux universitaires et sans liens véritables avec les savoirs nouveaux, la Science administrative n’a pas encore les moyens d’intégrer les processus bureaucratiques dans une vision renouvelée, mettant à leur place et distinguant clairement les classes de problèmes. Le baquet interdisciplinaire, loin de brasser les disciplines, aurait plutôt noyé les questions. Le phénomène juridique et plus généralement la majoration de l’esprit normatif en France demeurent des faits sous-interprétés, le gigantisme des organisations, l’automaticité des ripostes tout comme la scolastique des propagandes sont traités par prétérition. Une histoire politique du droit administratif fait défaut autant qu’une connaissance approfondie de l’atmosphère dogmatique, milieu naturel d’un centralisme de haute époque, socialement efficient et prudemment préservé par la classe politique dans son ensemble.
En d’autres termes, nous méconnaissons encore très largement les conditions historiques du remue-ménage contemporain et ses enchaînements prévisibles, c’est-à-dire avant tout les raisons, l’engrenage et le mode de production du mouvement scientifique dont un système administratif tel que le système français est à la fois l’enjeu et le conducteur. Voilà donc – du moins puis-je l’espérer – l’insertion de l’histoire administrative, associée dans mon esprit à d’autres recherches2 pour contribuer à l’étude des mécaniques institutionnelles. Mes remarques ici seront brèves, succédant aux travaux d’un séminaire tenu à [l’université] Paris I sur le thème : « La capacité stratégique de l’Administration française». Elles visent à rappeler quelques points clés, puis à ouvrir l’article suivant, publication inédite d’un jeune chercheur très informé de ma rubrique.
Notons donc :
1. La révolution du rendement intervient comme phénomène de série
Une première tâche doit être inscrite : saisir dans son entier le mouvement qui vise à transformer les vieux systèmes administratifs européens sur la base des critères économiques définis pour le rendement industriel. Les technologies les plus modernes, telles que le PPBS, ont entraîné, pour être assimilées, une vaste entreprise de recherches d’accompagnement. De même, les études de prévision (par exemple, sur la croissance du trafic postal et la gestion du personnel qui s’ensuit) s’appuient sur des travaux scientifiques fort développés. Mais, la transposition des méthodes imposées par la loi du marché, pas plus que la prospective de l’emploi ou l’apprentissage systématique des recettes empruntées à la psychologie des human relations, ne permet de comprendre l’ampleur des transformations en cours, leur nature propre en fonction des lieux historiques. J’ajouterai ceci : la référence au passé elle-même, accolée sans discernement pour embellir d’éloquents rapports3, contribue au discrédit des recherches historiques en la matière et renforce l’esprit millénariste des technocrates, convaincus peu ou prou que la sur-durée des traditions signale un ramassis de forces et d’équilibres anachroniques, voués à disparaître par la manipulation des sciences venues d’Amérique après la dernière guerre.
Il n’est donc pas sans importance de réfléchir à l’insertion de la révolution scientifique au sein des organisations bureaucratiques nationales. Nous vivons selon des catéchismes et des propagandes manichéennes, aussi piteuses et naïves lorsqu’elles annoncent la table rase ou l’adaptation des structures, que les déclamations des pseudo-psychologues de la gestion participative sur l’avènement imminent d’un monde adulte. Il est vrai que la superstition entourant certains ouvrages américains, les silences étranges de la science politique française orientée par ses dirigeants vers l’inépuisable polémique constitutionnelle, le « fétichisme de la discrétion dans la haute administration»4, ou l’espèce de routine pamphlétaire ressassant avec componction et colère affectée les malheurs du centralisme, ne favorisent pas l’examen critique d’un fait aussi capital que l’explosion scientifique déterminée, mais non contrôlée, par les grands ensembles bureaucratiques.
On lira plus loin avec profit telle ou telle remarque de Fayol, dont l’œuvre et les initiatives appartiennent en réalité au vaste mouvement d’idées de réforme administrative sur les thèmes complèmentaires de la science et de l’industrie. Toutefois, il manque au scrupuleux éditeur des Carnets d’avoir disposé des correspondances échangées entre Fayol et d’importants personnages de l’économie française, gardiens jaloux des traditions, pratiquement inconnues de la bureaucratie privée, cette jumelle de la bureaucratie publique, dont nous savons finalement fort peu du point de vue du mécanisme historique. Mais peu à peu, cette grave lacune disparaîtra, à la faveur de recherches se rapportant à mon jeu d’hypothèses, et, prochainement, la lumière sera faite sur les origines d’un jeune colosse : le CNRS, encore empêtré aujourd’hui dans les vieilles ficelles d’une très antique politique de la science.
Certes, nous n’avons plus de leçons techniques à tirer des débuts laborieux d’un système de contrats vaguement mis au point après 1929 (date de la création d’un ministère de l’Air) entre plusieurs ministères et quelques universités pour développer la physique des fluides. En revanche, il demeure intéressant d’analyser l’extrême difficulté des relations Industrie-Université dans le domaine où les contacts étaient appelés par la nature même des études, et d’observer les contraintes qui devaient jouer au niveau gouvernemental, puis dans les cabinets ou les directions des ministères compétents, pour honorer les échéances provoquées soit par l’écart technologique entre la France et l’Allemagne, soit par l’effet des engrenages de la Grande Guerre. Il est nécessaire ici de soupeser ces fameuses doctrines du rendement, que nous recevons à tort comme d’absolues nouveautés, tout au plus rapportées aux diagnostics d’ensemble proposés par le rapport Armand-Rueff aux technomanes de la Ve République. Ignorant le lignage de cette fondamentale thématique, progressivement récupérée par les idéologies et les formulations politiciennes, nous éludons quelques interrogations essentielles : la provenance des incitations, la procédure et les temps de réponse, l’importance des propagandes et le transit obligatoire par la classe politique, enfin le régime de croyances auquel est soumis le développement scientifique. Il y aurait beaucoup à méditer sur l’action entreprise en 1918 par l’Association nationale pour l’organisation de la démocratie, fondée par Corréard, haut mandarin de l’administration, et qui mettait à son programme cet article dénué d’ambiguïté : « Introduire dans l’administration les méthodes commerciales et industrielles»5. Quarante ans nous séparent des solennelles impertinences du rapport Armand-Rueff ! Un tel décalage en dit long sur la lucidité répandue dans la classe politique. On pourrait ajouter d’autres exemples, qui montreraient, plus près de nous, une égale continuité dans la structure institutionnelle de la politique scientifique. Ainsi, la transformation universitaire et ses diverses mesures d’accompagnement, aujourd’hui présentées comme faisant suite à la révélation de 1968 et à la découverte sensationnelle des vices de l’enseignement dit napoléonien, furent précédées d’études et de critiques méthodiques, systématiquement ignorées par les gouvernements et la haute administration avant que celle-ci et ceux-là n’aient été mis au pied du mur. Les spécialistes du ministère de l’Éducation nationale auraient aujourd’hui avantage à relire les pages de Berthelot faisant le procès des lycées6 ou la grande enquête financée par la Fondation Carnegie avant la dernière guerre pour ouvrir scientifiquement le procès du baccalauréat7. La faillite actuelle de notre système de formation ne peut se comprendre sans un retour à ces thèses prudemment enterrées, qui n’ont pas empêché l’exportation de notre système malade, dans les pays sous-développés, par une administration triomphaliste8. De la même façon, les volte-faces de la classe politique, insuffisamment informée et critique, tout au long des années d’après-guerre jusqu’à nos jours, masquent complètement les efforts déployés et la nature des obstacles à vaincre pour imposer les études sur l’emploi9.
Ces faits, brièvement évoqués, soulignent les lacunes de notre représentation historique quant aux problèmes soulevés par la modernisation de la bureaucratie française selon les critères aujourd’hui proposés. Il est, d’ailleurs, significatif que les observateurs étrangers (cf. l’ouvrage de Gilpin sur la Ve République) s’intéressent à la synthèse de ces questions davantage que les chercheurs français, probablement trop impressionnés par les propagandes ambiantes. Les clichés en usage et les professions de foi modernistes (du type des déclamations contenues dans la loi d’orientation de 1968) s’apparentent aux généralités faciles que développait un Lucien Poincaré à ses moments perdus (cf. son livre Éducation, Science, Patrie, paru en 1926). De véritables hypothèses, non des propagandes de circonstance, seraient nécessaires pour faire progresser la critique.
2. La bureaucratisation de la recherche : normes françaises
Une fois reconnue l’étendue historique du mouvement qui porte le système français vers les réformes auxquelles les divers secteurs de l’administration se trouvent conduits aujourd’hui, il reste à considérer les facteurs les plus essentiels qui précisément donnent à l’ensemble ses caractéristiques. J’indiquerai sommairement les axes principaux d’une recherche pouvant contribuer à le définir.
Les transformations affectant sous nos yeux l’organisation bureaucratique s’accompagnent de nouveautés non seulement au plan des méthodes scientifiques mises en œuvre pour exécuter les réformes (consommation accrue de rapports et d’études), mais également quant à l’organisation de la science elle-même. En d’autres termes, la modernisation de la bureaucratie suppose une bureaucratisation accélérée de la recherche dans tous les domaines. Planification, révision et diversification des organigrammes, apparition de nouvelles classes de chercheurs, etc., tous ces éléments de la politique de recherche sont les signes apparents du changement en cours. Mais ce serait une erreur de croire que cette réorganisation à très vaste échelle soit affranchie des normes traditionnelles. Sur ce point particulier, j’observerai ceci :
– La bureaucratisation de la recherche réfléchit la loi du centralisme français. Il est du plus haut intérêt de revenir sur les pratiques du centralisme « à la française », pour comprendre l’un des aspects les plus considérables des réformes qui tendent à réorganiser la Recherche scientifique en France, à savoir les difficultés d’opérer une rupture catégorique avec le style hiérarchique traditionnel.
Cette proposition comporte de nombreuses implications. J’en retiendrai quelques-unes seulement. Notons tout d’abord que le fiasco universitaire, stigmatisé par de nombreux spécialistes en organisation vers la fin de la décade 1950, pose crûment la question des rapports de l’Université avec la Science, d’une manière aussi déconcertante pour l’opinion qu’au temps de Renan où le néant napoléonien apparaissait enfin clairement face à la liberté allemande. Les efforts, plus ou moins couronnés de succès avant 1914 par la IIIe République (succès plus évident dans l’enseignement secondaire et surtout primaire), ont produit depuis longtemps leurs effets et certaines illusions arrivent maintenant à leur terme. En particulier, l’absence d’émulation ou de concurrence scientifique entre universités, dénoncées très tôt malgré les essais de dégel (Rapport Bufnoir en 1886 sur les facultés de droit), nous reporte aux choix sommaires de l’époque napoléonienne où l’État prit en charge autoritairement tout l’appareil et jeta les bases d’un mandarinat, violemment attaqué au XIXe siècle par les libéraux, et depuis lors sans cesse renforcé dans les faits. Le mécénat privé ne s’est pas développé en France et seuls l’aménagement d’avantages fiscaux ou les perspectives ouvertes par des opérations ponctuelles de relations publiques peuvent inciter aujourd’hui le secteur privé à s’intéresser à des recherches jugées traditionnellement non rentables (par exemple, la psychiatrie fondamentale, l’histoire ancienne et la conservation des manuscrits). La France reste dépendante d’une tradition traitant l’inventeur en héros et largement hostile aux initiatives scientifiques que n’approuveraient pas la haute hiérarchie de l’appareil et ses clientèles.
En contrepartie, le centralisme français, profondément paternaliste et protecteur, favorise la production des places et la féodalisation systématique. Si je ne craignais les propos tranchants, je reprendrais ici le brocard par lequel je convie ordinairement le public étudiant à réfléchir sur l’histoire administrative : la première fonction de l’administration consiste à produire des places. En d’autres termes, telle que peut la photographier l’historien, la bureaucratie apparaît avant tout comme régime social. L’Université elle-même, longtemps révérée au XXe siècle par la majorité universitaire aujourd’hui passée dans le camp de l’autocontestation (voyez naguère le style pompeux de la luxueuse Revue de l’enseignement supérieur et son iconographie des plus brillants professeurs!), considérait le développement scientifique à travers sa propre représentation hiérarchique et sociale. La science tend à suivre les exigences de la hiérarchie et s’adapte aux méandres de la politique des places. Le problème de l’innovation prend ainsi valeur de conflit, puisqu’il incarne la menace contre un ordre davantage construit en vue du contrôle par le haut et de la reproduction indéfinie de ses normes. De là, un renforcement continuel de la sphère centrale, qui doit créer les structures parallèles, arbitrer le partage des crédits et procurer à tous les étages de tous les secteurs une protection égale. Ce raccourci est le canevas d’une évolution mécanique du système, évolution qui se poursuit sous nos yeux, en dépit des efforts (en réalité très timides) de décentralisation.
Le déploiement et l’expansion d’une bureaucratie vouée à diriger et à organiser la recherche dans ces conditions n’échappent pas à l’entraînement des anciennes pratiques. Les organismes nouveaux, surtout s’ils sont conçus pour des tâches insuffisamment définies et par conséquent difficiles à contrôler quant à l’efficacité, s’approprient aisément le mandarinat le plus classique et reconstruisent (parfois même en adoptant le vocabulaire et les usages nouveaux dits de participation) strictement le conflit centraliste, fût-ce à l’échelle microsociale d’un laboratoire ou d’un institut.
– La mythologie d’accompagnement ne contredit pas, pour l’essentiel, la tradition du nationalisme français. Nous abordons là sans doute le problème le plus difficile, quant à la reconnaissance historique du système, puisqu’il s’agit d’étudier les fondements psychologiques des institutions centralistes. Il faut, en effet, convaincre les spécialistes de ces questions que les attitudes et comportements attachés au style particulier d’une bureaucratie nationale font partie d’une vaste réalité anthropologique et que, en ces soubassements de l’organisation, nous rencontrons bien évidemment les stipulations canoniques les plus diverses englobées par Freud sous la notion du Super-ego de la culture. On peut voir aussi que les transformations de la recherche, si nécessaires au développement de la bureaucratie selon les critères industrialistes, sont portées par une mythologie d’accompagnement célébrant la science et le rendement ou bien à l’inverse – figurations contraires – reprenant ces deux thèmes sur le mode négatif de la terreur (l’ordinateur sait tout, mais nous menace ; le progrès scientifique est tout-puissant mais pollue l’humanité, etc.). Tout psychanalyste sait parfaitement, pourvu qu’il soit informé du contexte en chaque cas, identifier (éventuellement interpréter) les soutiens de tels fantasmes. Je n’en traiterai pas ici, déposant seulement mes thèses, dont sera relevé le point préliminaire : l’existence d’un régime traditionnel des croyances sur lequel s’échafaude un nationalisme, le français en l’occurrence.
Le meilleur moyen d’en convaincre le lecteur peu familier de la psychanalyse et des observations qu’analogiquement elle autorise dans la vie sociale ou institutionnelle, est de noter le phénomène d’auto-censure (appuyée sur une très longue expérience historique) qui marque la pratique actuelle des sciences dites humaines et sociales. À cette échelle, tout comme pour les individus, existent des normes contraignantes qui frappent de censure le passé (provisoirement oublié), fixent une frontière rigoureuse entre ce qu’il est permis/interdit de savoir, investissent symboliquement certaines instances du pouvoir de distinguer le vrai du faux, etc. Or, précisément ces mécanismes jouent à plein dans les organisations modernes, y compris dans celles qui prennent en charge les décisions de la politique scientifique, de sorte que se trouvent reproduites ou confirmées (malgré l’apparence d’une coupure avec le passé, engendrée par la révolution technologique) les normes classiques du dressage, et que les observances du nationalisme ancestral continuent de souder les éléments de l’ensemble considéré. Cet attachement à la tradition peut être aisément illustré. Sans remonter très loin dans le temps, on peut rappeler l’extrême lenteur (suivie d’un subit engouement depuis une dizaine d’années) avec laquelle une technique aussi fondamentale que la psychanalyse s’est développée dans notre pays, non seulement vis-à-vis de la psychiatrie, mais pour éclairer le domaine des institutions. À plus forte raison sommes-nous encore très éloignés d’une liberté scientifique, qui permettrait d’aborder avec une sérénité absolue, par exemple au niveau de la science politique officielle (celle que définissent pompeusement les programmes universitaires), certains problèmes tels que la santé mentale et leurs rapports avec la vie professionnelle ou politique10. Les responsables de la formation préfèrent s’abriter derrière l’État et les administrations ministérielles, puissances divinement abstraites, insaisissables, et passionnément idolâtrées, plutôt que travailler résolument à sortir ladite science politique de ses conformismes. Il suffit d’ailleurs d’étudier un groupe de doctorants quelconque, pour saisir que les fameuses méthodes modernes sont reçues d’une manière abstraite et que la curiosité scientifique demeure enfermée dans les thèmes traités par la presse ou reconnus prioritaires par la hiérarchie universitaire en exercice. En résumé, on peut dire, en dépit des déclamations sur le changement des mentalités, que l’orthodoxie et la panique de mal penser sont des réflexes encore très répandus dans l’univers des chercheurs en sciences dites humaines/sociales. Par là se définit une inclination naturelle au dogmatisme, dans un secteur clé de l’appareil scientifique, dans ce domaine important où s’opèrent la production et la critique des normes auxquelles la majorité des gestionnaires de la recherche attache du crédit et qu’elle s’efforce de traduire dans l’action.
Ce phénomène dogmatique est en relations directes avec l’esprit centraliste. Si nous en approfondissons les modalités et la rigueur, la réalité apparaît bientôt. On peut douter, au surplus, que cette réalité puisse être reconnue comme telle, car elle désigne précisément le nœud vital de croyances autour duquel s’est organisé le centralisme en France, à partir d’un dressage religieux. Tel qu’on peut le définir, en tant que régime de croyances, le centralisme représente un culte fanatique de l’omniscience, le respect sacrosaint (avec la haine afférente) des omniscients, de tous ceux qui se trouvent symboliquement reconnus comme investis du savoir et de la puissance. Abordable seulement par ce côté-là des choses, l’organisation centraliste ne risque pas d’être mise en cause facilement. Là-dessus, une réflexion s’imposerait, orientée vers l’étude psychanalytique du dogmatisme associé aux institutions. L’une des conséquences d’une telle observation des faits est de mettre en évidence que la bureaucratisation de la science, au même titre que la rentabilisation de la bureaucratie n’est pas fatalement contraire à la tradition, c’est-à-dire aux techniques ancestrales du gouvernement et de la soumission, s’il n’est pas porté atteinte aux mythes fondateurs. Toute réforme devient acceptable et contraignante, pourvu que soient respectés certains canons. Pour l’instant, la mythologie centraliste fonctionne encore parfaitement, par les vertus attachées à la rhétorique du conflit, que nous voyons récitée ponctuellement à tous les niveaux où quelque pouvoir s’exerce, dans l’administration comme dans les syndicats, dans toutes les zones sociales où la bureaucratie se développe. Les institutions de la science n’y font pas exception.
6. Science et Éducation. Discours et notices académiques, Paris 1901, pp. 71-112.