Embrasser la Révolution.
Hommage à la Révolution de papier, aux auteurs de papiers sur la Révolution1.
Amants de papier, ce texte est pour vous ; il parle d’embrasser une idole de papier.
Qu’aucun penseur ne lise mon papier, léger, si léger, qu’il ne mérite pas l’attention, si ce n’est de quelques-uns, fascinés par l’Emblème silencieux, un mot qui ne dit rien.
Oserai-je apporter ma contribution, ajouter aux célébrations écrites, un je ne sais quoi légèrement pataphysicien ?
Ma pensée sur la Révolution ne vaut rien. Je la résume : dans Révolution il y a r, l’r qui erre. Rien à dire donc, rien de rien. Tout mot qui commence par la lettre r est un bon à rien et ne mène à rien. Fils d’imprimeur, je l’ai toujours su, il n’y a rien à faire avec cette lettre r, qui rit.
C’est pourquoi, faute de pouvoir penser ce mot rebelle, je me rabats vers l’érudition, la science qui dispense de penser.
En érudition, la lettre r reprend ses droits de lettre rude, lettre sérieuse. Avec cette lettre, j’ai écrit des choses et des choses, notamment sur la Révolution française, dont je m’entiche parfois. De cette Révolution, je suis fils moi aussi. À la normande s’entend, avec des oui, avec des non, dans mes deux lignées que je sache.
J’aime la langue de la Révolution française, j’en fais des plats à l’occasion. Lisez le rapport de Thouret sur les départements, dont je suis un spécialiste. Il vous explique ce que veut dire régénérer à fond, et du même pas que la loi est faite pour éviter la démocratie dans les provinces. Pardon, lecteur, de rappeler le souvenir d’un auteur si cocasse.
Puis voici l’indiscrète question : la célébration de la Révolution est-elle sincère ? Les Français se disent vagabonds politiques, ils aiment prétendre s’arracher au vieux monde, faire savoir qu’ils sont des rebelles. Ils aiment aussi les papes, les gouvernements stables, les hérésies conformes à l’air du temps, comme ils aiment la science, les inventions, la main qui tremble pour écrire, la poésie. Où voyez-vous la Révolution ?
Moi, je la vois : dans l’éclat du Nom. Rituellement parlant – poétiquement donc -– une Révolution n’existe que par ses chants, par ses mots fulminants, par les célébrations de son Nom porteur d’amour et de mort. Sans cette passion, pas de soulèvement, pas d’expérience politique du Meurtre, mais un pur banditisme comme l’affichent encore certains, ou comme disait le bon Thouret de 1789, une commotion passagère.
À l’Assommoir érudit, j’ai appris l’ivresse des mots. Embrasser la Révolution n’est pas raisonner sur la Révolution, c’est embrasser – embrasser son Nom. Je suis allé chercher cette leçon chez Justinien, l’empereur romain, théocrate et père de l’Occident.
Que cette lecture soit ma contribution au discours de bravoure d’aujourd’hui.