Chronique de droit romain médiéval
I
SUR L’ORIGINE DU SIGLE FF
Il arrive encore que des étudiants, peu familiers des ouvrages anciens, mais curieux d’histoire des doctrines, s’interrogent sur la variété et l’étrangeté apparente de certains sigles, notamment l’abréviation ff pour désigner les différentes parties du Digeste. Les explications courantes, sans être en parfaite concordance, ne manquent pas d’ingéniosité, comme en témoigne une tradition fixée dans des Manuels, rapportant ff comme une allusion au manuscrit de Florence[1]. Il n’y a pas lieu d’insister longuement auprès des spécialistes ou des chercheurs expérimentés sur l’erreur d’une telle proposition. Je voudrais seulement, à l’intention du lecteurs sceptique et de quelques étudiants débutants, ajouter les précisions suivantes.
Le sigle ff représente une abréviation paléographique[2]. Il est possible de suivre, à travers les manuscrits du XIIe et du début du XIIIe siècles, les étapes de ce raccourcissement de la citation du Digesta (Dig., D, ff )[3]. La diffusion de ce mode simplifié de transcription n’a pas été instantanée, ce qui explique l’absence d’uniformité des citations dans les MSS contemporains, de facture différente[4]. Mais, du temps de Grégoire IX et au moment où Accurse compilait la Grande Glose, on ne trouve plus, semble-t-il, d’exception : le sigle est alors d’un usage absolument général[5].
Enfin, il existe une contre-épreuve possible pour démontrer l’origine purement paléographique du sigle ff. Dans quelques MSS anciens, probablement tous du XIIe siècle, contenant des commentaires canoniques sur le Décret de Gratien, on trouve le mot distinctio abrégé de la même manière ff ; j’ai rencontré cette indication dans les deux MSS suivants : Arras 271[6] et Grenoble 626[7].
II
LE « COMMENTARIUM SUPER INSTITUTA » DU MANUSCRIT MORGAN 903
La bibliothèque Pierpont Morgan à New York a fait acquisition en 1961 d’un manuscrit, très sommairement présenté dans le catalogue publicitaire d’un libraire parisien : « commentaire aux Institutes de Justinien, XIIIe siècle, orné d’un dessin à la plume représentant Justinien en pied, couronné et tenant un long spectre »[8]. Le MS a reçu pour cote le n° 903. Grâce à l’obligeant concours de la Bibliothèque Morgan, nous avons pu entreprendre son étude ; la transcription en étant achevée et la critique avancée, il est possible d’en prévoir la très prochaine édition. Il a paru utile d’informer de cette importante découverte ceux des spécialistes en une science peu cultivée, que n’a pas pu encore toucher une correspondance privée et qui sont les vrais destinataires de ces chroniques[9].
Le MS, qui semble complet, comporte 32 feuillets sur deux colonnes. L’écriture du début du XIIIe siècle, indique une origine méridionale, malgré la présence de quelques abréviations italiennes. L’ensemble des données codicologiques situe la composition vers 1220. Mais des indices variés et concordants donnent à penser que ce MS est une copie tardive, dont il n’a pas encore été possible de suivre la transmission jusqu’au dernier épisode, la vente, toute récente, à Paris. Il a semblé, d’autre part, intéressant d’établir une classification des fautes et des omissions ou surcharges du copiste, qui permettra probablement de se représenter quelques variations fondamentales par rapport au texte primitif. Malheureusement, en quelques endroits, le MS a souffert de l’humidité et les taches qui subsistent rendent parfois la lecture pénible, même sur agrandissements photographiques.
Le MS donne son titre, suivi d’une Materia complète. Son contenu le rattache à la tradition des grandes Sommes du XIIe siècle, actuellement connues. Mais, l’archaïsme des références et, probablement, ses sources suggèrent l’antériorité, de sorte que cet ouvrage remonterait au moins à l’époque des Quatre Docteurs. En l’état actuel de l’étude, la prudence impose de réserver toute hypothèse sur l’origine de composition. On soulignera seulement l’importance du propos final : l’allusion à deux noms inconnus, Pontius toranensis et Ugo auinionensis.
Voici la transcription de l’incipit et de l’explicit,
- Incipit, fol.la.
« Incipit commentarium super instituta cuius capitula significantur iuxta numerum capitulorum ipsius libri. Expositio prohemii institutionum. Iustitiani est in hoc opere mediocrem quamdam eruditionem rudibus animis lectorum componere qua veluti primiciis imbuti facilius valeant archana legum penetrare et ipsam iusticie faciem occulta mente perspicere… »
- Explicit, fol. 32 a-b (de publicis iudiciis).
« …Set quo ordine et qua forma inducantur et exerceantur et diffiniantur si quis inde doctus apparere desiderat commentarios noni libri codicis quos ad dominum pontium toranensem et ugonem auinionensem fratres et socios nostros participes et coheredes romanarum legum nobis quod deo potentissimo referimus suplicibus uotis ac precibus indefinenter requirat. Deo gratias. »