Ars Dogmatica

Pierre Legendre

Aux sources de la culture occidentale : L’Ancien droit de la pénitence

Il est fort délicat, en un exposé si bref, de prendre la mesure d’un phénomène aussi considérable que l’institution pénitentielle, dont l’évolution et les traits permanents intéressent non seulement l’histoire de l’Église latine, mais l’ensemble des mécanismes de l’apprentissage culturel des Occidentaux. Même si l’on restreint le champ d’observation à la période dite du haut Moyen Âge, dont se préoccupe notre réunion savante, il n’est pas possible de limiter le descriptif à rappeler l’importance de la masse textuelle consacrée à la matière, ni à répéter après tant d’éminents chercheurs l’étroite liaison de cette littérature avec les sources en provenance de l’Antiquité chrétienne1. Il faut encore s’efforcer de comprendre les raisons de cette imposante production de textes, saisir le sens des transformations qui imprimèrent à la Pénitence sa marque classique dès le premier millénaire, surtout viser le niveau des interprétations grâce auxquelles ce vaste système de prescriptions prendrait tout son poids d’humanité vis-à-vis des traditions qui nous portent. Pareil programme supposerait de nouveaux progrès dans l’érudition, une meilleure connaissance des enchaînements dans la trans­mission ou l’enrichissement des sources jusqu’à l’articulation des temps classiques ouverts par la Réforme gré­gorienne, enfin l’acceptation, de la part des historiens spécialisés, de la problématique ouverte de nos jours par l’avancement des sciences anthropologiques. D’un tel point de vue, la Pénitence mérite de figurer au premier rang des grandes inventions de la Culture occidentale, et les études en cause sont appelées à jouer un rôle essentiel dans l’examen du système de croyances où s’est construite, puis quelque peu figée, cette culture2.

Je ne prétends pas évidemment embrasser ces immenses questions, et mes remarques resteront ici strictement dépendantes de l’histoire du Droit canon, telle que nous la concevons aujourd’hui, rythmée par les grands mouvements composant l’histoire générale, et par les boule­versements périodiques dans l’économie des sources. Malheureusement, nous devons encore constater, malgré les plus récentes initiatives (par exemple, celle de notre collègue Kottje, de Regensburg, pour promouvoir un traite­ment sur fiches des pénitentiels), que nous ne dominons pas vraiment l’histoire des textes ou de la formation des traditions en la matière ; de la sorte, les travaux plus anciens demeurent des guides3, et l’exposé d’ensemble proposé par Le Bras en plusieurs occasions4 donne une idée juste de la complexité des problèmes auxquels doit faire face l’érudition, qui par certains biais toutefois – édition de textes5 ou par un effort d’analyses géographi­quement encadrées6 – enrichit l’immense dossier ou sug­gère d’inestimables observations.

Je me bornerai à quelque classement des problèmes, en ouvrant trois rubriques successives :

a) La transmission textuelle. La période envisagée couvre finalement un millénaire. Si l’on exclut les temps apostoliques, elle nous conduit de l’Antiquité à Gratien (vers 1140). Il n’est pas sans intérêt de remarquer l’extrê­me diversité des sources auxquelles l’histoire de la Pénitence doit faire appel : législation séculière (Droit romain et lois barbares, qui contiennent de nombreuses disposi­tions sur les problèmes de la réparation ou de la faute), patristique (Tertullien, Ambroise, Augustin surtout), conciles œcuméniques ou locaux, décrétales pontificales authentiques ou apocryphes (apocryphes dont le pseudo­ Isidore, milieu XIe, présente un impressionnant tableau), recueils dits pénitentiels dont les Bretons et les Irlandais ont donné au VIe siècle les premiers modèles et qui vont littéralement conquérir le continent. Or, cette énorme production de textes en tous genres, de valeur juridique fort inégale mais souvent insérés dans des compilations mal différenciées, n’a été examinée par l’histoire du Droit canon que d’une manière très parcellaire. Ce point doit être fortement souligné : le nombre de travaux consacrés à la Pénitence, sur la base des sources de l’Ancien Droit, n’atteint pas (et de très loin) celui des recherches consacrées aux sources et à la discipline du Moyen Âge classique. Cela tient à une raison fondamentale, sur laquelle nous devons insister : le Droit canon est observé surtout à partir de son point de gravitation des XIIe-XIIIe siècles. En d’autres termes, nous apercevons le Droit canon historique à travers le prisme de Gratien et des décrétales, des gloses et de la Scolastique. Or, nous savons mieux au­jourd’hui que Gratien a réalisé (ici comme ailleurs) un essorage de la tradition ; il a trié, choisi, parfois mutilé des textes déjà tronqués ou manipulés dans les collections canoniques antérieures. Voilà qui souligne l’importance d’un réexamen de la transmission textuelle.

b) Les variations de la discipline. Sous l’appellation de Pénitence, l’histoire englobe de profondes varia­tions de l’institution. Depuis l’Antiquité jusqu’à l’époque moderne, de la controverse novatienne (251) jusqu’aux querelles jansénistes, la Pénitence recouvre des doctrines théologiques et des procédures juridiques très variées, durant près de deux millénaires. Vue de cette altitude, la Pénitence, c’est l’ordo poenitentium, véritable statut organisé à la suite d’une liturgie qui ne peut être appliquée qu’une seule fois pour chaque pénitent, selon la description des IVe- Ve siècles qu’on retrouve dans le liber ordinum de l’Église wisigothique7. La Pénitence, c’est aussi la liturgie dite Acte de foi, procession rituelle de l’expiation, organisée aux Indes par les missionnaires du XVIIIe siècle, et qui fort curieusement reproduit bien des traits de la Pénitence publique de l’Antiquité8. Mais, la Pénitence, c’est aussi la Pénitence dite privée décrite par les pénitentiels du haut Moyen Âge, par les sommes de confesseurs de la Scolastique, par les traités des casuistes jésuites de la néo-Scolastique espagnole ; c’est la procé­dure du for interne, défendue par Jacques Sirmond au XVIIe contre les jansénistes9 soupçonnés de vouloir restaurer pour l’Église gallicane la Pénitence publique.

Comment retrouver le fil conducteur, à travers des tendances si diverses, des formes institutionnelles apparemment peu compatibles les unes avec les autres ? Le vrai moyen serait de revenir plus fréquemment (en histoire du Droit canon) à cet Ancien Droit précisément, afin de bien comprendre cette époque-charnière, qui fut en réalité la plus constructive, car d’une part elle a reçu de l’Antiquité une doctrine de l’exclusion et du rachat du pécheur, et d’autre part elle a introduit une unité nou­velle dans la discipline et mis au point pour l’essentiel la doctrine du Droit moderne, trop souvent portée au compte de la Scolastique. Gratien et le Droit classique n’ont fait que suivre et développer les thèses des réformateurs carolingiens. Tout cela stipule de reconnaître le nœud historique du haut Moyen Âge.

c) Un révélateur de l’anthropologie traditionnelle des Occidentaux. Cet aspect des recherches est évidemment fondamental. Faire le point sur les sources, décrire la marche générale de l’institution pénitentielle n’est pas tout. Il nous faudrait mesurer l’efficacité sociale de cette liturgie, essayer d’atteindre l’ordre symbolique auquel se réfère la Pénitence, et par là comprendre l’une des procédures où se révèle le mieux la psychologie des Occidentaux. Il y sera porté attention, au final de ce bref exposé.

I

Sur la transmission des textes

Il est peu douteux que, sur ce chapitre fort important de l’histoire canonique, la perspective semble évoluer depuis quelques années. On notera, en effet, chez les cano­nistes un regain d’intérêt pour l’Ancien Droit et parti­culièrement pour le haut Moyen Âge. L’axe des études se déplace quelque peu, de Gratien, vers les siècles précé­dents, sous l’influence notamment des travaux concer­nant les collections qui figurent parmi les sources de Gra­tien. Les dernières études conduites par G. Fransen ou sous sa direction ont illustré, par exemple, l’importance de Burchard de Worms, lui-même dépendant d’auteurs antécédents, tels qu’Halitgaire (évêque de Cambrai, mort en 831) dont on sait, par ailleurs, le rôle dans le développement des idées sur la Pénitence à l’époque carolingien­ne10. Le Décret de Burchard, largement copié encore en Italie à l’extrême fin du XIe et au début du XIIe11, fait lien sur ces matières avec le haut Moyen Âge, et doit se voir reconnaître bonne place dans les sources directes du Droit classique.

Je ne vais pas présenter ici un bilan de ces travaux sur les manuscrits des collections antérieures à Gratien, travaux qui sont en train de renouveler notre connais­sance de la transmission. J’insisterai seulement sur un point particulier : alors que le Droit classique (à compter du XIIe) a construit un Droit de plus en plus comparable au Droit romain impérial, qu’il imite et auquel il a donné en quelque sorte la réplique12, l’Ancien Droit proposait une autre conception et représente fondamentalement la tradition d’un Droit pénitentiel, tradition qui commence à se bouleverser à compter de la Réforme carolingienne. Ce point est, à mes yeux, considérable, car on peut espé­rer comprendre par là le sens culturel des transforma­tions opérées au sein du système de la Pénitence, par la généralisation de la Pénitence privée, phénomène fort difficile à interpréter et sur lequel je reviendrai plus loin. Bornons-nous à remarquer ceci : la Pénitence, au sens le plus large inclus dans la tradition de l’Ancien Droit, recouvre non seulement les procédures de la confession (pénitence publique ou privée selon le cas)13, mais l’en­semble des règles disciplinaires alors définies par le Droit canon. En d’autres termes, la Pénitence constitue l’en­veloppe générale, le moule du système canonique. L’An­cien Droit est ainsi beaucoup plus proche de la Théologie morale que du Droit tel que l’afficheront les glossateurs après Gratien. De là, quelques conséquences importantes sur le plan de l’histoire textuelle :

 

1) 1ère conséquence : succès des sources de l’Anti­quité. Le haut Moyen Âge a d’abord intégré la législation conciliaire ; ainsi, les quatre conciles œcuméniques (Nicée 325, Constantinople 381, Éphèse 431, Calcédoine 451), d’autres conciles orientaux du IVe siècle (Ancyre, Gan­gres, Laodicée, etc.), africains (exemple, la série des con­ciles tenus à Carthage de 397 à 421), espagnols et gaulois, tous ces conciles remplis de dispositions pénitentielles sur les sujets les plus divers (usure, homicide, délits contre la foi, délits sexuels, etc.) ont été très tôt réunis en collections. Grâce à ces collections, ils ont circulé, répandant dans tout l’Occident ce fonds commun, une sorte de tradition universelle de la Chrétienté et s’enrichissant peu à peu. Parmi ces collections fondamentales, il faut citer bien sûr la compilation de Denys le Petit (Ve siècle), dite Dionysiana, avec ses différentes versions ou ses compléments, par exemple la collection augmentée, remise par le pape Hadrien à Charlemagne en 774 (Dionysio­-Hadriana), que l’on recopiera fort tard jusqu’à l’aube du Droit classique ; puis, on citera l’Hispana (VIe-VIIe s.), qui connaîtra elle aussi un grand succès, et nous intéresse particulièrement.

Passons maintenant à cet autre fondement de la dis­cipline pénitentielle : la Patristique. Ambroise (auteur d’un de poenitentia), Jérôme et surtout Augustin, vont fournir sur notre matière d’innombrables extraits. No­tons le fait, pour remarquer d’abord que la Patristique s’est articulée avec l’Ancien Droit de bien des manières ; soit qu’on utilise des florilèges, soit qu’on ait eu recours aux œuvres intégrales, les Pères font sentir leur présence (quel que soit par ailleurs l’usage qui est fait de leur doctrine). Ainsi, dans ses Sententiae, livre I, Isidore (évêque de Séville de 601 à 636) traite de l’eucharistie : la commu­nion purifie-t-elle du péché ? La longue discussion d’Isi­dore reprend une consultation d’Augustin sur la même question, pour recommander la pénitence préalable. De même, la collection dite Dacheriana (ainsi appelée du nom de son premier éditeur d’Achéry), composée en Gaule vers 800, utilise dans sa préface l’Enchiridion de saint Augustin pour nous exposer ce qu’il faut croire touchant la rémission des péchés.  Les exemples pourrraient être multipliés, afin de montrer la portée considérable des textes venus de la Patristique. Ces textes ont alimenté de grands concourants de controverse sur la Pénitence en général, ce qui souligne le caractère “théologique” de l’Ancien Droit. La Patristique est à ce point intégrée qu’elle fait partie du Droit lui-même. Nous allons le com­prendre davantage, en observant cette autre conséquence de ce système juridique encore très proche de ses racines théologiques :

 

2) 2ème conséquence : flottement dans la hiérarchie des textes. Malgré l’importance des sources dites romaines, c’est-à-dire des collections reçues par Rome (Dionysiana, Hispana), le Droit canon du haut Moyen Âge présente cette caractéristique de n’être pas figé dans un carcan. C’est un vaste creuset, où l’autorité n’est pas toujours bien clairement définie, où la hiérarchie des textes est encore flottante. Or, précisément les matières péniten­tielles ont été l’enjeu d’un des plus importants débats canoniques du haut Moyen Âge, d’un débat de fond sur l’autorité des textes, débat dont je rappellerai sommaire­ment les principales données : d’un côté, les sources locales, de l’autre la poussée des réformateurs pour unifier le Droit ; d’un côté la prolifération des sources locales mal contrôlées (notamment sous la forme des pénitentiels), de l’autre la revendication unitaire des Fausses Décrétales.

Les pénitentiels représentent véritablement l’exemple le plus intéressant des conséquences qu’ont pu avoir les circonstances de l’époque, si favorables à l’autonomie des Églises locales. Par là même, nous sommes tout près de percevoir l’une des divergences les plus considérables entre l’Orient et l’Occident dans les questions d’organisa­tion et de Droit. Les pénitentiels, on le sait, désignent cette floraison de catalogues de péchés et de peines expia­toires, destinés à guider les confesseurs. Répandus sur le continent et formant bientôt tradition malgré les très vives réactions de nombreux évêques, ils ont joué un rôle des plus significatifs dans l’évolution du système juridique de l’Église occidentale. Cette curieuse législation venue de la base présentait un caractère insolite, du fait qu’elle était souvent en contradiction avec des principes assez fermes, assez généralement reconnus comme essentiels à la tradition. On pourrait en relever de nombreux exem­ples, ainsi :

- cette législation, souvent définie par un épiscopat monastique et itinérant, ne fait pas grand cas des cadres territoriaux et des règles de compétence (entre les juges, les églises) ;

- elle déborde l’ancien système de la Pénitence pu­blique : au lieu de définir rigoureusement les divers sta­des de la Pénitence publique, elle énonce une variété in­finie de peines expiatoires ;

- elle n’a pas souci du Droit général ; chaque péni­tentiel a ses critères, ses tarifs particuliers ; et cela va très loin ; par exemple, l’ensemble pénitentiel connu sous le nom de judicia Theodori (début VIIIe siècle) renverse in­directement, par le biais des peines, le Droit commun du mariage : à la sévérité traditionnelle pour les mariages entre parents, il substitue des computations larges ; à l’indissolubilité, il apporte des exceptions nombreuses (l’homme renverra sa femme adultère et pourra se rema­rier, la femme adultère elle-même après cinq ans de péni­tence pourra se remarier, la longue captivité, la désertion, l’entrée d’un époux dans un monastère, deviennent des causes légitimes de rupture du lien)15.

Voilà un tableau éloquent des conséquences de cette effervescence de la législation locale, une espèce d’anar­chie selon les critères occidentaux bientôt endiguée par les réformateurs du IXe siècle, dans cette fameuse collec­tion des Fausses Décrétales (pseudo-Isidore), dont je vais dire un mot.

Les Fausses Décrétales se situent dans la ligne de ce vaste mouvement – la Réforme carolingienne –, qui sur le plan des sources connaît bien des épisodes. Cette collec­tion est (à peu de choses près) contemporaine de l’œuvre d’Halitgaire, qui inaugure véritablement une nouvelle espèce de pénitentiels. Impuissante à supprimer l’usage de ces textes, la Réforme inspire de nouvelles rédactions, plus orthodoxes, c’est-à-dire conformes à la discipline romaine. Or, dans cette atmosphère, quel est le grand principe qui anime le pseudo-Isidore, sinon la supréma­tie du Siège romain ? On trouve précisément dans ce re­cueil (ainsi la 2ème lettre de Calixte)16, le grand principe du Droit classique : Non esse agendum contra statuta aposto­lica, principe dont les Fausses Décrétales ont tiré de très importantes conclusions juridiques, pour nous essentielles telles que le respect des compétences territoriales ou des compétences des autres juges en général, la distinction des péchés publics (manifesta) et cachés (occulta), le prin­cipe d’une procédure régulière dans l’accusation des pé­chés publics (règles sur le témoignage et l’accusation). L’institution pénitentielle entre alors dans la zone de ce vaste concept, emprunté au Droit romain : la jurisdictio. À lire les Fausses Décrétales, on croirait lire parfois les classiques de l’époque scolastique – ceux du XIIIe s. sur­tout – qui grâce à l’unité et à la stricte hiérarchie des sources ont donné à la Pénitence son statut moderne.

 

II

Les variations de la discipline

 

Après ce rappel du sens général de l’histoire des sour­ces, interrogeons l’institution même. Au fond, qu’est-ce que la Pénitence ? Question complexe, dont la difficulté est symbolisée par deux textes, situés aux deux extrêmi­tés de la chaîne historique médiévale. Par ces deux textes, nous pouvons photographier l’institution.

 

- 1er texte, extrait de l’Hispana : 3ème concile de Tolède (589), canon 11. Ce texte est fort intéressant, si l’on veut bien se rappeler qu’il appartient à cet important concile consacrant le passage de la nation wisigothique au catho­licisme. Ce texte est donc, à beaucoup d’égards, très ins­tructif17.

Ce canon veut réprimer un abus qui s’est insinué dans les Églises d’Espagne et propose un remède. L’abus con­siste en ceci : il y a des personnes qui font pénitence de leurs péchés d’une manière dégoûtante (foedissime) ; chaque fois qu’il leur arrive de pécher, elles vont demander la réconciliation à de simples prêtres. Cette pratique est qualifiée, par le concile, d’audace exécrable (exsecrabili praesumptione), parce que contraire à la forme canonique des anciens (secundum formam canonicam antiquorum). Dès lors, le remède se trouve tout indiqué, en cette forme canonique à laquelle il est fait référence expresse, dans la seconde partie du texte. De cette ancienne forme, le concile de Tolède nous donne la description détaillée, telle qu’il l’entend. La pro­cédure est en trois temps : celui qui se repent de ses fautes doit d’abord être écarté de la communion et prendre place parmi les autres pénitents ; puis on laisse passer un certain temps pour la satisfaction ; enfin, après mûr examen, s’il le juge bon, l’évêque admet de nouveau le pénitent à la communion. On précise qu’en cas de récidive, le pécheur sera condamné selon la rigueur des anciens canons (se­cundum priorum canonum severitatem). Voilà un texte qui, de la manière la plus claire, écarte la pénitence privée et réitérée.

 

- 2ème texte : IVe concile du Latran (1215), canon 21 dit canon Utriusque sexus, passé dans les Décrétales de Grégoire IX18.Ce texte est considéré en Droit canon comme fondement de toute la discipline pénitentielle mo­derne, confirmée par le concile de Trente et la pratique postérieure. Le ton général et ses termes sont évidemment tout différents. Que nous dit ce texte ? Essentiellement deux choses : a) chaque fidèle, ayant atteint l’âge de discrétion, doit procéder seul (solus) à l’aveu de ses péchés, au moins une fois l’an (saltem semel) ; b) cet aveu doit être reçu en secret par le propre prêtre (proprio sacerdoti), qui infligera au pénitent une pénitence proportionnée. Le prêtre (dont le texte parle beaucoup plus que du péni­tent) se comportera à la façon d’un médecin qui sait son métier (more periti medici), et si par malheur il révélait les aveux du pénitent, il se verrait déposé et condamné à la pénitence perpétuelle dans un monastère.

Résumons-nous : de la fin du VIe au début du XIIIe siècle, nous passons d’une pratique à une autre, de la pé­nitence publique à la pénitence privée, la confession ayant peu à peu envahi la plus grande partie de la Péni­tence. Efforçons-nous de comprendre ce passage, beaucoup mieux connu du point de vue de l’histoire sacramen­taire, que par rapport aux évolutions du système canoni­que. Ce passage en dit long sur les institutions de l’Ancien Droit et cette histoire nous éclaire sur le singulier destin des textes de l’Antiquité dans le Droit du Moyen Âge.

Notons tout d’abord que la Pénitence publique, telle qu’elle était décrite chez les Pères et plus ou moins clai­rement dans l’ancienne législation conciliaire (Antiquité), n’a jamais été abolie. Gratien en parle, notamment distinc­tion 50, sous le nom de poenitentia solemnis ; en fait, dans le Droit classique, les pratiques auxquelles cette notion jusqu’alors se référait, sont devenues exceptionnelles. Notons également que les réformateurs carolingiens avaient cherché à en restaurer l’usage, non sans la transformer (renseignements très clairs là-dessus dans la littérature des ordines), tentatives prolongées, semble-t-il, par les réformateurs grégoriens (cf. la collection d’Anselme de Lucques, dont le Livre XI est tout entier consacré à la Pénitence).

Mais le sens définitif de l’évolution a été donné, là encore, par ces grands précurseurs du Droit classique qu’ont été les rédacteurs des Fausses Décrétales (cf. le principe “à péché public, pénitence publique ; à péché privé, pénitence privée”)19.

Progressivement, dès les tendances amorcées par les Églises espagnoles et poursuivies plus tard grâce à la diffusion des pénitentiels, la Pénitence privée devait sup­planter la Pénitence publique. Cette substitution s’est faite sans renier les textes des Pères, dont on a retenu princi­palement les justifications théologiques : ainsi prendront leur importance, à partir de textes empruntés souvent à saint Augustin, les discussions sur les effets sacramen­tels de la pénitence privée (question de la réitération de la pénitence, qui tient une si grande place dans les collec­tions canoniques du XIe, et auxquelles fait écho le de poe­nitentia de Gratien). On aperçoit ainsi le très grand rôle tenu par la Patristique, alors même que le régime juri­dique de la Pénitence devait se trouver bouleversé. De ce changement, je ne retiendrai que certains aspects pro­prement juridiques, en laissant même de côté, malgré leur très grand intérêt, de nombreuses sources ecclésias­tiques telles que Bède, Jonas d’Orléans ou le pseudo-Augustin, textes qui balisent certains aspects de l’évolu­tion du VIIIe au XIe siècle, où sont consignées quantité de remarques idéalisant les pratiques de pénitence privée pouvant aller jusqu’à recommander la confession aux laïques pour les petites fautes20, fortement inspirée des usages monastiques. Je m’en tiendrai à l’essentiel, tou­chant les transformations intervenues dans le régime de la Pénitence, transformations opérées de deux manières :

a) Les progrès de la casuistique. Voilà un point certainement considérable, auquel nous devons porter grande attention et qui nous reporte au contexte juri­dique général de l’Occident barbare. Évoquons-le briè­vement.

Les Droits barbares avaient développé un système dans lequel, en cas de délit ou de dommage causé aux personnes ou aux choses, le coupable devait payer des compensations ou des amendes, sur lesquelles nous avons des tarifs extrêmement précis. L’histoire canonique est liée à cette atmosphère de l’époque, si différente de celle où s’est développé le Droit classique romain, puis celui du Bas-Empire, cadre dans lequel avait pris consistance la doctrine ancienne de la Pénitence publique. Or, que voyons-nous avec les progrès de la Pénitence privée ? Exactement, le même phénomène. Une sorte de contamina­tion s’est opérée, et les pénitentiels sont, à cet égard, la réplique de la législation barbare : c’est le système du tarif, appliqué à la Pénitence. C’est même cela qui caracté­rise fondamentalement le changement ; on passe de la pénitence publique à la pénitence tarifée. Le pénitentiel, en effet, est un catalogue qui s’adresse au confesseur ; il est composé pour son usage : à côté de chaque faute, s’inscrit la pénitence (si un clerc a forniqué, telle péni­tence ; si un laïc s’est énivré, telle pénitence ; etc.). Nous avons là, en réalité, le point de départ d’une casuistique de plus en plus raffinée. La conséquence majeure de cette tarification compliquée réside dans le fait que l’adminis­tration de la Pénitence va s’organiser non plus comme la liturgie, mais dans un style très juridique, le style d’un véritable procès, simulé et très simplifié sans doute, mais effectif, comme s’il était conduit devant un tribunal. Le haut Moyen Âge met au point, de la sorte, ce que les scolastiques appelleront la juridiction du for interne. Constat capital, qui mériterait de longues réflexions : le con­fesseur est un juge, ce que les pénitentiels confirment tout à fait.

Les pénitentiels ont, en quelque sorte, codifié d’avance les sentences du confesseur, et cette codification tient compte des éléments les plus variés pouvant infléchir les sentences dans un sens ou dans un autre. Par exemple, les peines sont différentes selon la situation sociale des coupables, plus dures pour les clercs que pour les laïcs, plus dures pour l’évêque ou l’abbé que pour le diacre ou le simple moine. Elles varient également d’après l’inten­tion. On distingue les péchés de pensée ou d’action. Enfin, les pénitentiels s’efforcent de considérer la personnalité du pécheur, en lui laissant le choix de la peine, soit une peine courte et rigoureuse (exemple, 3 jours de jeune complet et sans repos), soit une peine longue et moins dure (exemple, simples restrictions alimentaires). Tout ce système de tarification va donc très loin et peu à peu, progressivement, sans rupture brusque, le caractère juri­dique de l’institution s’est accentué. En fait, le développement des pénitentiels et de la confession privée fait partie d’un plus large mouvement de perfectionnement des institutions canoniques en géné­ral. Ici nous pouvons résumer les choses, par une proposi­tion simple :

b) Le terrain perdu par la Pénitence publique a été gagné par l’excommunication. Sur cette immense question du développement de l’excommunication (matière com­plexe et qui ne se confond pas avec la Pénitence publique, l’excommunication étant un moyen de contraindre à la pénitence), je ferai retour de nouveau aux Fausses Décré­tales, qui au IXe siècle nous montrent assez bien comment le problème se présente. La 2ème lettre de Calixte est ici encore très éloquente, car elle traite en même temps de l’excommunication et de la pénitence. Après avoir rappelé que les péchés publics doivent entraîner des péni­tences publiques, la lettre poursuit en évoquant deux points de droit très importants : d’une part que l’excommunication est soumise à des règles de compétence (on ne peut excommunier, si l’on n’a pas compétence sur la personne du coupable), d’autre part qu’il faut suivre certaines règles et réunir des témoignages21. Nous sommes là au degré le plus important de l’évolution, car sous cette apparente confusion entre les matières de la péni­tence et de l’excommunication s’aperçoit la faiblesse de la doctrine pénitentielle de l’Antiquité. En fait, les ré­formateurs isidoriens, dont nous connaissons par ailleurs l’érudition juridique, se réfèrent au Droit romain, vivier de principes et de normes qui vont fournir au Droit canon ce que la Patristique ne pouvait par elle-même lui donner : des techniques de procédure, canalisées par la multipli­cation des appels à Rome, institutions qui vont élargir le champ de l’excommunication et donner à celle-ci une structure juridique inconnue jusqu’alors. Ces institutions de procédure sont en germe chez les réformateurs du IXe siècle, et trouveront leur déploiement définitif à partir du XIe, à la faveur de la Réforme grégorienne et de la Renaissance du Droit romain, d’abord important à cause de la procédure22. S’il fallait résumer en quelques mots, je dirais ceci : le passage de la Pénitence publique ancienne au système de la pénitence privée et de l’excommunica­tion classiques, c’est finalement l’histoire du succès grandis­sant des institutions pontificales en Occident.

 

III

La Pénitence et sa portée d’anthropologie

 

Pour clore ce très sommaire rappel d’histoire canoni­que, il nous faut parvenir aux questions les plus difficiles sans doute, celles d’une ultime compréhension de l’ An­cien Droit de la Pénitence. J’ai désigné cette zone d’in­certitudes, en appelant la thématique de l’anthropologie. Bien que les textes soient apparemment clairs et bien que, malgré les lacunes de l’érudition contemporaine, les grandes lignes d’évolution puissent être assez claire­ment discernées, le problème de l’interprétation, à mon avis, reste entier. De même, comme le soulignait déjà fort opportunément Vernay23 à propos de l’excommuni­cation, nous sommes loin d’avoir compris les techniques de l’exclusion et du rachat, faute de travaux comparatis­tes montrant la correspondance des institutions d’une religion à l’autre, d’une société à l’autre ; partant, nous sous-estimons la consistance religieuse des Cultures, et d’abord de la nôtre, l’occidentale. Trop d’historiens négli­gent encore cette dimension ou bien transposent pour ces époques reculées des schémas ethnographiques colportés à la légère sur la base d’un comparatisme sommaire, étroit ou passablement vieilli. Le Droit canon, en sa partie pénitentielle dont j’ai ailleurs souligné les dépendances soit dans la tradition produite par l’inquisition24, soit dans la casuistique post-tridentine25, mérite davantage : il donnera lieu à des recherches spécifiques, méthodique­ment conduites, et résolument notifiées en dépit de l’opposition affichée ici ou là.

La voie qui s’ouvre à l’interprétation, en ces matières si complexes et si lourdement chargées de symboles, ne peut être indifféremment telle ou telle. L’anthropologie doit entamer sur ce terrain un travail unique, bien que délicat, du fait même que l’histoire d’une part importante de l’humanité, directement ou indirectement, a défini ses liens sociaux ou sa religion du Pouvoir à travers le réseau serré des prescriptions dont la Pénitence, entendue selon ses archétypes médiévaux, a fixé l’épure. Certains spé­cialistes, qui n’étaient ni canonistes ni historiens, ont récemment mesuré l’importance des réalités véhiculées par cette transmission de textes26, grâce auxquels nous pour­rions entrevoir les bas-fonds où s’enracinent réellement les plus sublimes productions de l’Occident. C’est dans cette voie qu’il faut entrer, où la psychanalyse procure l’appoint de ce qu’elle a conquis, à propos des manipula­tions du sentiment coupable et des symbolisations pre­mières.

Les questions pénitentielles sont certainement d’un accès plus aisé, à partir des exposés scolastiques tels que les sommes des confesseurs ou les commentaires introduits dans les gloses du Décret de Gratien ou des Décrétales.

C’est sur cette base documentaire, que j’ai donné un essai d’interprétation, d’un point de vue de psychanalyste, celui où je me tiens en l’affaire27. Pour le haut Moyen Âge, le flottement des institutions et surtout la difficulté extrême de se représenter concrètement la pratique majo­rent le problème. On peut néanmoins énoncer ceci :

Telle que les sources canoniques nous la décrivent, surtout lorsqu’il est question de pénitence privée sous la forme de la confession secrète et réitérée, la Pénitence définit en négatif un idéal (probablement très dépendant de l’influence monastique), qui est à la fois un idéal de la société et un idéal du Moi (pour le pénitent). Idéal de la société, les normes canoniques jouent à la manière d’une propagande, pour signifier sous les sublimations de la Foi les principaux articles du discours institutionnel, ce que la psychanalyse englobe par le Super-ego de la Culture. Idéal du Moi, le développement du Droit de la Pénitence privée a produit une médecine de l’âme, dont la réalité se rapproche des autres systèmes connus de la possession du sujet ; nous sommes en présence d’une technique parti­culière (l’occidentale) de la dramatisation symbolique, que la Scolastique devait porter à sa perfection, par une science des actes humains dont les travaux de Dom Lottin ont souligné la remarquable précision pour la période classique ; par les pénitentiels surtout, puis par la théolo­gie, nous disposons des moyens de découvrir la rigueur des symboles en cause. Tout cela laisse entendre que nous sommes encore éloignés d’une compréhension qui soit à la mesure des analyses de l’érudition.

 

(*) Cet article a conservé, pour l’essentiel, le texte issu de la conférence telle que celle-ci fut prononcée ; les principales modifications concernent les notes en référence.

(1) Voir, par exemple, les articles sur la Pénitence, par E. AMMAN, dans le Dictionnaire de Théologie catholique, tome 12 (1), Paris 1933, à partir de col. 818. Par commodité et pour simplifier les références, il y sera fait ici plusieurs emprunts.

(2) FOURNIER et LE BRAS évoquent le rôle civilisateur considérable des pénitentiels (Histoire des Collections canoniques, Paris 1931, I, p. 56). Il faut certainement élargir le propos à l’ensemble des sources. Quant au terme Cul­ture, je l’entends ici dans un sens probablement différent des catégories aux­quelles Le Bras se référait couramment, dans une perspective quelque peu ethnocentriste à la mode française des années 30.

(3) Notamment: SCHMITZ, Die Bussbücher und die Bussdiziplin der Kirche (I), Mainz 1883, et Die Bussbücher und das kanonische Bussverfahren (II), Dusseldorf 1898. WASSERSCHLEBEN, Die Bussordnungen der abendländischen Kirche, Halle 1851.

(4) Voir son compte-rendu du livre de Finsterwalder sur Theodore, in Re­vue historique de Droit français et étranger, 1931, p. 99 et suiv., ainsi que son article “Pénitentiels” dans le Dict. de Théol. cath., col. 1160-1179.

(5) Exemple la réédition donnée par J. LAPORTE, Le pénitentiel de saint Co­lomban, Tournai-Paris 1958.

(6) Ainsi, la thèse classique de O. VOGEL, La discipline pénitentielle en Gaule, des origines à la fin du VIIe siècle, Paris 1952.

(7) Edité en 1904, dans la collection des Monumenta Ecclesiae liturgica, tome 5, par FEROTIN.

(8) Cf. Relation de l’lnquisition de Goa, Paris 1688, p. 252 et suiv.

(9) Ouvrage fort instructif quant à l’Histoire théologique : J. SIRMOND, Historia Poenitentiae publicae, Paris 1651.

(10) L’importance d’Halitgaire vis-à-vis de Burchard est illustrée par G. FRANSEN, Les sources de la Préface du Décret de Burchard de Worms, Bulletin of medieval Canon law, vol. 3 (1973), p. 1-7. Sur la question de la Pénitence chez Halitgaire, note sommaire dans le Dict. de Théol. cath., col. 863.

(11) G.FRANSEN, Les Collections canoniques, in Typologie des sources du Moyen Âge occidental, A-III. 1, Turnhout 1973, p. 51.

(12) La présence de fragments de Droit romain dans les sources canoni­ques (notamment dans les Collections) durant le haut Moyen Âge n’a évidem­ment pas la même portée que pour la période suivante, si profondément mar­quée par le style qu’a décrit G. LE BRAS dans son important article : “Le Droit romain au service de la domination pontificale”, Rev. hist. de Droit français et étranger, 1949, notamment p.384. 

(13) Les travaux historiques ont communément tendance à confondre les aspects procéduraux ou liturgiques de la Pénitence, et l’ensemble de la régle­mentation disciplinaire en cause ; on le voit encore dans la thèse de J. CHELINI, soutenue à Nanterre en 1974 sur le thème : La vie religieuse des laïcs dans l’Eu­rope carolingienne, volume III, p. 183 et suiv. (dactylographiée) ; les aspects formalistes et répressifs laissent dans l’ombre l’essentiel, c’est-à-dire l’idéalisation.

(14) Sur ces deux exemples, cf. le Dict. de Théol. cath., col. 824 et 876.

(15) Cf. FOURNIER et LE BRAS, Hist. des collections can., I, p. 59-60.

(16) HINSCHIUS, Decretales pseudo-Isidorianae, Lipsiae 1863, p. 137.

(17) Texte dans la Patrologie latine, tome 84, col. 363.

(18) Titre De penitentiis et remissionibus, X, 5.38.12.

(19) HINSCHIUS, p. 140 : … quia manifesta peccata non sunt occulta correctione purganda.

(20) Cf. JONAS D’ORLÉANS, De institutione laicali, lib. I, cap. XVI, Patr. lat., tome 106, col. 152.

(21) Cf. HINSCHIUS, ibid.

( 22) Remarquons au passage le succès précoce des ordines iudiciarii, avant même l’essor de l’enseignement bolonais au XIIe.

(23) Cf. la très intelligente préface (notamment p.11) de l’auteur de ce travail classique : LeLiber de excommunicatione du cardinal Bérenger Frédol, Paris 1912.

(24) On peut voir, par exemple, que pullulent les éléments de la littérature pénitentielle dans le fameux Directorium inquisitorum, composé vers 1358 et qu’on attribue en bloc à Nicolas Eymeric (cf. la grande édition avec commentaires, Venise 1607).

(25) On oublie que la Pénitence a donné lieu à des développements morali­sant toute chose, y compris les manières de table reçues chez les Occidentaux ; voyez, par exemple, Le Parfait Ecclésiastique ou diverses instructions sur tou­tes les fonctions cléricales, Lyon 1676, p. 39 et suiv. La Pénitence a engendré aussi cela : un Droit de l’étiquette.

(26) Je vise ici spécialement les études conduites en Italie par l’équipe d’E. DE MARTINO sur le phénomène de possession en rapport avec la tarentule : La terre du remords, Paris 1961. Derrière cette danse mystique, s’exerce aussi la tradition pénitentielle, dont l’ouvrage plusieurs fois édité du jésuite DELRIO (Diaquisitionum magicarum libri sex, notamment Mayence 1603) propose la classique mise en ordre, Livre I, chap. 3.

(27) Cf. mon ouvrage : L’amour du censeur. Essai sur l’ordre dogmatique, Paris, 1974 (édit. Le Seuil), p. 119 et suiv.

 

 

Discussione sulla lezione Legendre

 

CALABRUS : el Prof. Legendre ha hablao de una de las fuentes en el derecho penitencial, los concilios locales. Un problema que se plantea al hablar de concilias locales, es el del ámbito de aplicación de los concilios. Siguiendo fundamentalmente al profesor Gaudemet, dice que la autoridad de un concilia procede fundamentalmente de la de los obispos que toman parte en él.

Entonces se plantea el problema de que el concilio no puede salir o en principio no sale del ámbito en que se ha reunido y de los obispos que han estado presentes.

El problema de la recepción de los concilios locales en otros países, está en relación con su difusión y fundamentalmente hay en él, en este problema, un hecho jurídico como es el de la adopción por un concilio extranjero de los cánones que se reciben de otro país. Esta adopción hace que tales cánones sean tenidos como propios. Esta es una primera vía de recepción de los concilios de un lugar a otro.

Una segunda vía es fundamentalmente el de las colecciones canónicas, pero esta vía de la colección canónica es posterior y fundamentalmente una obra privada.

Esto me ha llevado fundamentalmente a plantear el problema cuando usted ha hablado de la autonomía de las iglesias locales, que llega casi a una anarquía.

Entonces yo quería preguntarle, cómo es que en esta anarquía, en este particularismo, si se pueden establecer unas lineae generales de actuación en el derecho penitencial eclesiástico.

 

LEGENDRE : cette question est évidemment une question énorme. Je ne sais pas si je vais savoir y répondre, parce qu’il y a beaucoup de problèmes qui sont posés en même temps. Il faudrait distinguer dans ces problèmes, qu’on peut appeller réception des canons conciliaires, bien des parts, n’est-ce pas : il y a d’abord la question, par exemple, de la réception des conciles de la tradition grecque. C’est en soi un problème énorme qui me dépasse tout à fait. Vous avez fait référence à ce qu’a dit Jean Gaudemet, n’est-ce pas, c’est un peu un problème comparable à la question qui a tant agité les romanistes de savoir quelle était dans beaucoup de parties de l’empire, la part qu’on doit faire au droit romain qu’on connait dans la tradition théodosienne et au droit romain qu’on a appelé vulgaire faute d’une appellation adéquate. Je crois qu’il est très difficile de répondre à cette question. Je dirai peu de choses, simplement d’après la transmission dans les Collections dont je m’occupe. Autant on peut faire le point d’une manière précise sur ce que contiennent les collections canoniques, autant il est difficile de dire ce qui, dans les différentes familles de collections, témoigne de l’application de ce qu’on y trouve pour une région déterminée et en particulier pour la tradition des conciles. Alors je ne sais pas si j’ai très bien répondu à cette question, mais je suis, j’avoue, très embarrassé.

 

CARON : Monsieur le Professeur Legendre, dans sa magnifique relation qui a suscité l’intérêt très vif des historiens du droit canonique, a illustré l’évolution du droit pénitentiel, depuis la phase pour ainsi dire patristique jusqu’à la phase des collections canoniques du Moyen Âge, c’est-à-dire des collections antérieures à Gratien. Dans la phase patristique nous avons vu le caractère théologique et moral de la pénitence qui s’est assez affirmé, pendant que dans la phase successive du Moyen Âge, celle des collections antérieures à Gratien, nous avons vu que la pénitence a acquis plus clairement le caractère d’une institution juridique, et l’application de la peine ne sera plus seulement une solennité théologique, mais plutôt une véritable procédure juridique qui se déroulera devant le tribunal du forum internum ou forum poenitentiale. Je voudrais poser aussi une question au Professeur Legendre : je voudrais lui demander si cette évolution du concept de la pénitence doit se poser en relation avec l’analogue évolution du concept d’aequitas canonica, tel qu’il se vérifia depuis l’âge patristique jusqu’à l’âge des collections antérieures à Gratien. Dans l’âge patristique nous voyons que l’aequitas dans les écrits des Pères de l’Eglise s’identifie avec la misericordia, la caritas, la benignitas. Successivement nous voyons que le concept d’aequitas canonica évoluera en un sens juridique, et nous voyons dans plusieurs sources antérieures à Gratien que l’aequitas canonica c’est l’aequitas romaine, dans sa signification précise de justice parfaite. Nous voyons que le concept d’aequitas canonica est formé de trois composants : le concept romain d’aequitas, entendu comme justice parfaite, le concept patristique de la caritas ou benignitas, auxquels s’ajoutera plus tard un troisième composant c’est-à-dire l’épicheia aristotélique dans le sens de non application de la loi au cas où son application apparaît manifestement injuste. Ainsi le concept d’aequitas canonica s’identifie avec le concept d’aequitas romana, et ensuite il se perfectionnera jusqu’à acquérir l’élément de l’aequitas severitatis : car dans quelques sources antérieures à Gratien on prévoit que l’aequitas puisse déroger dans le sens d’une plus grande sévérité au droit écrit. La question que je voudrais poser maintenant à Monsieur le Professeur Legendre c’est de savoir si l’évolution qu’il a illustrée du droit pénitentiel doit se considérer en relation avec l’évolution du concept d’aequitas canonica tel que je viens brièvement de l’exposer. J’attendrais sur ce point la réponse du Professeur Legendre. Merci beaucoup.

 

LEGENDRE : je vais rappeler d’abord, si vous le permettez, à l’usage de nos confrères non juristes, le caractère ancien, chez les juristes, de cette notion, j’allais dire de cette notion-fleuve, qu’on appelle l’equitas, qui est pour moi un concept un peu, je dirais, fantasmagorique, dont on a joué déjà en droit romain, dont on va jouer beaucoup dans la scolastique, dont on joue aussi dans les sources non juridiques du Haut Moyen Âge et dont Monsieur mon confrère vient de parler. Bon, ça c’est un point. Je vais certainement vous décevoir beaucoup en vous disant ceci, c’est que, à mon avis, on peut probablement, par les sources non directement juridiques se faire une opinion, une idée, de l’espèce d’equitas dont on peut parler au Haut Moyen Âge à propos de cette théologie morale qui constitue en somme l’essentiel d’un contexte qui n’est pas très juridique au sens où le conçoivent les juristes à partir du XIIe siècle. Mon sentiment en tous cas, si je dois répondre d’une manière nette, un peu tranchée, bien que je ne sache pas très bien répondre à vos questions encore une fois, c’est que les pénitentiels et en général alors, de l’autre côté, les collections canoniques, ce sont des sources qui ne font pas de place à ces discussions pleinement juridiques ; ça n’est pas dans l’esprit de ces catalogues de textes ; et si de temps à autre on trouve, il se peut bien qu’on trouve, je n’ai pas de texte à l’esprit, des références à l’equitas, mais ce sera alors probablement surtout dans les collections canoniques non plus dans les pénitentiels, à l’occasion d’un fragment particulier. Mais qu’est-ce qu’on pourrait en tirer ? Je ne crois pas qu’on puisse en tirer de conclusion bien nette. Simplement, on dira : tel fragment énonce le mot equitas, le concept d’equitas. Mais de là à s’interroger sur les sens qu’il faut apporter à l’equitas dans l’ensemble du contexte canonique du Haut Moyen Âge, moi, personnellement ça me paraît difficile, et même une entreprise vouée à l’échec.

 

BIELER : Monsieur, je vais apporter seulement une petite remarque au discours nécessairement sommaire mais fort instructif du Professeur Legendre, une remarque qui touche une particularité des pénitentiels irlandais. Parmi d’autres choses, parmi beaucoup d’autres choses, le Professeur Legendre a précisé la place des pénitentiels dans le développement de la pénitence en général. Il a dit que les pénitentiels, cette législation de la pénitence privée en effet a absorbé certainement les lois nationales, dites leges barbarorum. Mais c’est toujours une harmonie, une union harmonieuse. Parfois il arrive qu’il y ait une opposition, et certainement une résistance à un concept chrétien. Alors il y avait des traditions, non nécessairement des lois mais des traditions populaires, qui avaient le statut de, comment dire, des coutumes approuvées et qui n’avaient pas toujours été bien définies, qu’il était parfois difficile à réconcilier avec la pénitence de l’église. Parfois par exemple en Irlande et non seulement en Irlande, je crois, il y avait les coutumes du deuil formel, en anglais dirge ; c’est à la base une chose païenne, mais il n’était pas facile de les déraciner. Alors on fait des compromis : si le deuil était tenu pour un roi, et en Irlande il y avait une centaine de rois, parce qu’il y avait une centaine de petits royaumes, la pénitence était moins sévère que pour un homme ordinaire, une femme ordinaire, ou s’il était pour un évêque encore c’était la même chose, et pour les plus nobles, les personnes les plus élevées, la pénitence, le tarif était moins grand, moins sévère.

 

LEGENDRE : je remercie Monsieur Bieler qui connaît admirablement cette tranche si importante de l’histoire des pénitentiels qui est la tranche irlandaise et, précisément, se trouve là posée sous la vêture de ce qu’on appelle d’un mot apparemment chrétien, mais à mon avis apparemment seulement, la question de la portée générale de la pénitence. Beaucoup de témoignages, des coutumes importées ou locales, sont là, auxquels jusqu’à présent on n’attache pas suffisamment d’importance en tant que tels, c’est-à-dire qu’on a surtout étudié les pénitentiels comme une espèce de documentation qui prépare le droit classique. Finalement nous revenons toujours à la même question ; on a laissé de côté, je crois complètement, ces aspects, j’allais dire ethnographiques, qui nous montrent que les pénitentiels sont aussi pour la société ou les sociétés si diverses du Haut Moyen Âge des témoins de tout premier ordre, n’est-ce pas, où nous rencontrons précisément des choses énoncées sous forme juridique et pénale que nous appelons législation faute d’un mot un peu plus sensible aux réalités non juridiques ; nous trouvons là vraiment des témoignages de tout premier ordre sur la réalité sociale et culturelle des populations en cause.

 

Extrait de : Settimane di studio del Centro Italiano di studi sull’alto medioevo XXII - LA CULTURA ANTICA NELL’OCCIDENTE LATINO DAL VII ALL’XI SECOLO -  Spoleto, 18-24 aprile 1974 - Presso La sede del centro, 1975, p.575-602. 

Emblème

Solennel, l’oiseau magique préside à nos écrits.
Le paon étale ses plumes qui font miroir à son ombre.
Mais c’est de l’homme qu’il s’agit :
il porte son image, et il ne le sait pas.

« Sous le mot Analecta,
j’offre des miettes qu’il m’est fort utile
de rassembler afin de préciser
sur quelques points ma réflexion. »
Pierre Legendre

« Chacun des textes du présent tableau et ses illustrations
a été édité dans le livre, Le visage de la main »

Ars Dogmatica
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